"Une seule santé, en pratique ?" - Déclaration finale
Le 17 mars 2021, jour anniversaire du premier confinement décidé par le Gouvernement français dans le cadre de la pandémie liée à la Covid-19, les cinq organisations[1] à l’initiative de la conférence nationale « Une seule santé : en pratique ? », placée sous le parrainage de la ministre de la Transition Écologique et du ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, organisée à VetAgro Sup, à l’issue des travaux préparatoires conduits dans le cadre de sept ateliers thématiques avec l’appui du comité scientifique, déclarent :
Vu l’ampleur de la crise sanitaire et socio-économique liée à la Covid-19, qui révèle les fragilités de nos sociétés face à l’émergence de maladies infectieuses ;
Vu les différents rapports de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES en anglais), en particulier celui d’octobre 2020 sur les liens entre la dégradation de la nature et l’augmentation des risques de pandémie, qui indique que l’émergence de la Covid-19 « a été entièrement déterminée par les activités humaines » et que « nous avons la capacité croissante de prévenir les pandémies (et que) nous devons, en plus de la réaction, nous concentrer sur la prévention » ;
Vu les enjeux majeurs des liens entre santé et environnement, qu’il s’agisse des dimensions de la santé déterminées par des facteurs environnementaux ou des impacts négatifs des activités anthropiques sur les écosystèmes et leur biodiversité, et qui intègrent l’approche « Une seule santé » ;
Vu les préoccupations croissantes de nos concitoyens et le coût très élevé de l’inaction dans le domaine santé-environnement, qui représentera un fardeau de plus en plus lourd pour les générations futures si nous repoussons les échéances pour agir dans le domaine de la prévention ;
Vu l’interdépendance de la santé humaine avec la santé des animaux, la santé des plantes, le fonctionnement des écosystèmes et le climat, qui conduit à une approche élargie et globale du concept « Une seule santé » fondée sur une interdisciplinarité scientifique permettant de comprendre selon les mots d’Erik Orsenna « L’Unité de la vie », notre santé dépendant de la vitalité des écosystèmes et de leur biodiversité ;
Vu que les mêmes facteurs anthropiques ont des effets globaux défavorables pour la biodiversité, pour le climat et pour la santé ;
Vu les initiatives internationales de la France et de l’Allemagne pour renforcer l’approche « Une seule santé », en élargissant au PNUE le cercle initial des organisations internationales mobilisées (FAO, OIE et OMS) et en permettant la mise en place d’un conseil international d’experts à haut niveau « Une seule santé » ;
Vu les travaux du groupe santé environnement (GSE), préparatoires au projet de 4ᵉ plan national santé environnement (PNSE 4), et le récent rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur l’évaluation des politiques publiques de santé environnementale, reconnaissant que la santé environnement doit devenir une priorité pour le XXIe siècle ;
Vu qu’il n’existe pas de transposition législative pour que le droit constitutionnel de « vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » puisse bénéficier effectivement aux populations - les seules mentions légales relevant encore de l’hygiène et de la salubrité publique, notion remontant au XIXe siècle ;
Vu la verticalité de la gouvernance et le cloisonnement des thématiques réparties entre les ministères et en plans « silos », sans traduction opérationnelle suffisante dans les bassins de vie où sévissent les facteurs de risques ;
Vu le caractère intégrateur de cette approche « Une seule santé » qui, en lien avec l’approche santéenvironnement, permet d’agir de façon préventive dans la conduite des politiques publiques et l’aménagement des territoires et que cela nécessite une formation adaptée dans nombre de disciplines ;
Prenant en compte les résultats des débats de cette conférence et des ateliers thématiques préparatoires (microbiotes, biocides, faune sauvage, agriculture / alimentation, territoires, formation, international) et leurs recommandations en matière de recherche et connaissance, prévention, éducation et formation, communication et mise en réseau, gouvernance, évaluation et indicateurs, ressources humaines, matérielles et financières, et enfin évolution des pratiques et de la réglementation, qu’on pourrait désigner comme « changements transformateurs » ;
NOUS, ORGANISATEURS DE LA CONFÉRENCE « UNE SEULE SANTÉ : EN PRATIQUE ? », SIGNATAIRES DE LA PRÉSENTE DÉCLARATION, ET EN REMERCIANT TOUS LES CONTRIBUTEURS, NOUS ADRESSONS, AU GOUVERNEMENT, AUX PARLEMENTAIRES ET AUX ÉLUS LOCAUX, LES DEMANDES ET RECOMMANDATIONS SUIVANTES :
Il est possible et urgent de passer à l’action, en changeant de paradigme pour mettre en place des actions préventives s’appuyant sur l’approche transversale « Une seule santé » ;
La France doit se doter de mesures législatives et réglementaires pour mener résolument une politique de santé publique prenant en compte, en lien avec la notion de santé-environnement, le concept « Une seule santé », à traduire concrètement par des actions opérationnelles transversales et pluridisciplinaires ;
La mise en place d’une stratégie nationale « Une seule santé », impliquant l’ensemble des ministères dans le cadre d’un pilotage renforcé au plus haut niveau de l’État, s’appuyant sur des opérateurs déjà très engagés comme l’ANSES et l’OFB, et une recherche interdisciplinaire regroupant les principaux organismes concernés (ANR, CNRS, INSERM, FRB, INRAE, CIRAD, ANSES, INERIS…) et leurs alliances (Allenvi pour l'environnement, Aviesan pour les sciences de la vie et de la santé, et Athena pour les sciences humaines et sociales) ainsi que les établissements d’enseignement supérieur concernés, notamment ceux regroupés autour de l'Inrae au sein de la convention de coopération territoriale Agreenium, éventuellement au sein d’un groupement d’intérêt scientifique (GIS) dédié : il s’agit de passer de l’approche de l’hygiène originelle du XIXe siècle à la santé environnement / Une seule santé du XXIe siècle !
La mise en place d’une gouvernance au niveau des territoires, dotés de nouvelles compétences. Pour être vraiment opérationnelle, cette gouvernance territoriale doit s’appuyer sur trois piliers :
- Législatif et réglementaire dotant les collectivités de compétences et de budget pour mettre en oeuvre des Plans d’action Territoriaux en Santé Environnement – Une seule santé (PTSE) adaptés en fonction de Diagnostics Locaux Santé Environnement – Une seule santé (DLSE) qui recensent les facteurs de risques auxquels sont exposées les populations dans leur bassin de vie, et leurs liens avec la biodiversité et le climat ;
- Une formation adaptée « Une seule santé », pour les professionnels de santé humaine mais aussi de nombreux professionnels de diverses disciplines pouvant impacter l’environnement (vétérinaires, agronomes, écologues, mais aussi urbanistes, agriculteurs, architectes, etc.) et pour les décideurs publics, dont les élus et agents territoriaux ; tant en formation initiale ou continue, et surtout en « troncs communs » entre professionnels, avec des diagnostics partagés entre les professionnels concernés et la population sensibilisée par une culture de la prévention. L’enrichissement des connaissances passe aussi par l’action et les retours d’expériences entre tous les acteurs : combien d’initiatives existantes (multiples, en réalité, à tous les échelons du territoire), trop mal connues mais mises en évidence par le travail des ateliers dans les domaines traités, montrant les besoins de coordination et, surtout de moyens humains et financiers ;
- Une approche économique qui évalue le coût de l’inaction par manque de prévention et le coût des externalités négatives supportées par la collectivité : il est temps que le gouvernement intègre dans sa politique économique et budgétaire l’importance du retour sur investissement d’une politique de prévention, en réduisant et supprimant les subventions aux activités impactant l’environnement et « Une seule santé », y compris dans les pratiques médicales et de médecine vétérinaire, et en faisant évoluer la fiscalité en conséquence, en vue de redistribuer des financements, notamment, à la recherche et aux collectivités territoriales pour des plans d’actions de prévention, et de soutenir les transitions écologiques des activités humaines, dont l’agriculture et la médecine.
Nous appelons donc à une stratégie nationale, mais aussi européenne et internationale, « Une seule santé », se traduisant par des politiques publiques ambitieuses, avec des effets dès que possible dans nos territoires, pour la population et les écosystèmes.
Nous porterons ces recommandations et les traduirons en propositions d’actions, y compris via des mesures législatives.
Nous demandons également que soient mis en place rapidement des lieux de gouvernance interministériel et de réflexion / concertation interdisciplinaire, afin de poursuivre l’avancée des connaissances, sur le lien entre la santé et la biodiversité, qui est notre assurance vie, ainsi que l’enrichissement des propositions d’actions et leur mise en oeuvre concrète, dans une démarche de cohérence des politiques publiques.
Compte-tenu de l’importance du sujet, nous envisageons d’organiser ce type de rencontres régulièrement, a priori tous les deux ans, afin de faire le point des évolutions, tant de la science que des politiques publiques, et de se projeter à nouveau, dans un processus d’amélioration continue d’« Une seule santé » : donc… À BIENTÔT !
[1] Ces cinq organisations regroupent les médecins de l’Association Santé Environnement France, (ASEF), la fédération France Nature Environnement (FNE), la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (FRB), les vétérinaires de la Fédération des Syndicats Vétérinaires de France (FSVF) et l’association Humanité et biodiversité (H&B) ; elles ont bénéficié de l’appui et de l’expertise de VetAgro Sup et en particulier de son école interne ENSV-FVI
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