Un Plan eau face à l'urgence climatique
Publié le 03/04/2023
Le Président de la République a finalement pris l’initiative de parler de l’eau en pleine crise sociale en présentant le Plan eau. On ne peut le lui reprocher tant la question du manquement de l'eau est une question centrale. Mais l’on peut s’interroger sur le rôle du Ministère de la transition écologique sur un sujet de sa compétence.
Attendu depuis plusieurs mois et reporté à plusieurs reprises, ce programme censé nous préparer aux sécheresses à venir s’inscrit dans un contexte tendu. Lutte contre les mégabassines, déficit de pluie hivernale, nappes phréatiques au plus bas… Selon Emmanuel Macron, le Plan eau doit enclencher "un vrai tournant dans notre approche de la gestion de l’eau en France face au défi du changement climatique".
Les commentaires des associations et de la presse jugent les mesures annoncées comme allant dans le bon sens. Bernard Chevassus-au-Louis, président d'Humanité et Biodiversité, a répondu aux questions d'Émilie Legendre pour la dépêche de AEF Info après les affrontements autour de Sainte-Soline.
Humanité et Biodiversité s'exprime face à la crise de l'eau
- Nous condamnons toutes les formes de violence physique envers des personnes, d'où qu'elles viennent, tant sur un plan éthique que politique ;
- Au-delà des manifestations violentes, il y a une large interrogation des citoyens sur le "bon" usage des ressources "naturelles", qui se manifeste aussi bien pour l'eau que pour les forêts, pour les ressources génétiques (ex : OGM), pour l'usage des sols...
- Le modèle du "petit monde*" de la gestion de l'eau, à travers la mise en place en 1964 de la loi sur l'eau et des comités de bassin, a montré son efficacité pour la gestion qualitative de l'eau (lutte contre les pollutions, restauration des milieux) mais se trouve remis en cause face à la crise quantitative. Ce phénomène de "débordement" du petit monde est bien décrit par les sociologues dans d'autres domaines (crises sanitaires, OGM...).
- Ce modèle des agences de l’eau est fondé sur la solidarité entre les acteurs et les territoires. Les consommateurs d'eau potable acceptent (ils ne le savent pas toujours) de payer beaucoup plus cher leur eau que les utilisateurs industriels et, surtout, agricoles. Ces citoyens-consommateurs sont donc légitimes d'exprimer qu'ils ont leur mot à dire sur le "bon usage" de l'eau.
- Pour sortir de l'impasse, il faut tout d'abord que les pouvoirs publics cessent de prendre des décisions qui sont cassées par la justice et, surtout, qu'ils ne fassent pas appliquer les décisions de justice (voir l'article de S. Foucart dans Le Monde)
- Une proposition : lancer des "Etats généraux des ressources naturelles" pour discuter de ce "bon usage" de l'eau, des sols, des forêts, de la biomasse et de l'action publique dans ce domaine. Sur une spécialisation des débats par type de ressources, nous pensons au contraire qu'un élargissement mettant en évidence toutes les interactions entre l'usage des différentes ressources naturelles serait utile.
Des mesures orientées vers une sobriété de consommation
Si on lit les mesures du Président de la République à la lumière de notre analyse, on peut mettre en lumière des aspects positifs. On peut citer :
"Assurer une tarification et un niveau de financement de la gestion de la ressource en eau adéquats" ...dont un effort significatif en direction des agences de l’eau. "En synthèse les moyens des agences de l’eau seront rehaussés de 475M€/an pour accompagner la mise en œuvre du Plan en rééquilibrant les financements".
C’est dans cette partie que la question d’une tarification à l’usage de l’eau est abordée en demandant au CESE de produire : "Le Conseil économique social et environnemental sera saisi d’une mission sur les évolutions nécessaires pour faire des recommandations sur la tarification progressive de l’eau".
Ce dernier point fera l’objet de beaucoup d’attention et on devra veiller à ne pas introduire de nouvelles inégalités, notamment pour les familles nombreuses. En effet, les collectivités territoriales ne savent toujours pas combien de personnes sont derrière chaque compteur. 50 mètres cube, c’est vertueux pour un couple avec enfant, mais source d’injustice pour une résidence secondaire.
"Soutien et développement des pratiques agricoles" (probablement plutôt dans la ligne robotique, numérique, génétique) :
- Des diagnostics eau, sol et adaptation seront inclus dans les aides à l’installation (mesure intégrée dans la loi d'avenir et d'orientation agricole). Cela a été annoncé début avril 2023 mais ne se retrouve pas dans les 53 mesures...
- 30 millions d'euros pour soutenir des pratiques économes en eau à partir de 2024 (mesure 4). On parle de goutte à goutte, irrigation intelligente ou développement de filière peu consommatrice en eau.
- Un fond hydraulique de 30 millions d'euros (mesure 21) pour remobiliser et moderniser les ouvrages hydrauliques existants et développer de nouveaux projets
- 50 millions euros/an de paiements pour services eco-systémiques pour préservation zones humides. (Mesure 20)
- Aires d'alimentation de captage : en phase d’installation de nouveaux agriculteurs sur des aires d’alimentation de captage, les projets s’inscrivant dans une démarche agro-écologique, d’agriculture biologique seront favorisés (mesure 24). Cette ambition sera portée dans le cadre de la concertation du Pacte et de la Loi d’orientation et d’avenir agricoles. Par ailleurs, le soutien aux pratiques agricoles à bas niveau d’intrants sur les aires d’alimentation de captage sera renforcé via les agences de l’eau (mesure 27) : revalorisation des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) et aides à la bio revalorisées sur les aires alimentation de captage à hauteur de 50M€/an ; prolongation de l’expérimentation des paiements pour services environnementaux (PSE) jusqu’à la fin de la programmation PAC à hauteur de 30M€/an ; aide à l’acquisition foncière par les collectivités à hauteur de 20M€/an. (Source : Confédération paysanne)
Ces mesures doivent aussi s’inscrire dans un plan à venir de changement des pratiques agricoles, changement que le ministre de l’Agriculture n’a pas évoqué lors du congrès de la FNSEA. À cette heure, la FNSEA ne donne pas l’avis de cette organisation majoritaire dans le monde paysan.
De manière générale le Plan eau centre sa vocation sur la sobriété de consommation, à l’exception de l’agriculture qui n’est pas ciblée de manière déterminée (voir plus haut). En effet, la vraie sobriété serait d’orienter les régimes alimentaires vers des produits moins consommateurs d’eau. Il ne reste plus qu'à concrétiser ces belles mesures...
Un prochain article traitera spécifiquement de la questions des bassines.
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* Cette expression vient du fait que peu de personnes connaissent le monde de la gestion de l’eau et celui du cycle de l’eau.
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