Humanité et Biodiversité parle "biomasse" au CESE !
Publié le 24/04/2023
Dans le cadre de son rapport sur la régulation des usages de la biomasse, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a auditionné le 29 mars dernier notre président, Bernard Chevassus-au-Louis. Une intervention durant laquelle il a mis l'accent sur la nécessité de réguler la biomasse et proposé des pistes concrètes pour mettre en place cette régulation.
La biomasse n'est pas infinie
La biomasse est l’ensemble de la matière organique d’origine végétale ou animale présente dans un espace fini, un biotope par exemple, à un instant T.
La biomasse agricole représente l’ensemble des matières organiques utilisables comme sources d’énergies produites et issues des systèmes agricoles. Elle provient principalement de cultures annuelles, des résidus de culture, des cultures intermédiaires et des effluents d’élevage. La biomasse, ressource renouvelable mais limitée, fait face à une demande croissante. Dès lors, il s’agit de trouver un équilibre entre performance technique et respect de l’environnement.
Au cours du 20ème siècle, de nombreux usages de la biomasse ont été remplacés - au moins dans les pays développés - par des produits de synthèse souvent issus des ressources fossiles. On a donc assisté à une concentration des usages de la biomasse sur l’alimentation humaine et animale, qui a contribué à répondre aux besoins de la forte croissance démographique de la planète (multiplication par 4 en un siècle).
Cependant, on assiste aujourd’hui à un regain d’intérêt pour des usages non-alimentaires de la biomasse, qu’il s’agisse de produire de l’énergie, des matériaux… mais aussi pour les services écologiques qui en dépendent et, enfin, pour les « informations » et les « savoir-faire » des êtres vivants (ex : biomimétisme). Cet engouement peut aboutir à des conflits d’usage mais aussi à des choix et à des arbitrages qui peuvent se révéler non-durables.
Pourquoi doit-on réguler la biomasse ?
1. Parce que l'offre de la biomasse est limitée et que la consommation mondiale augmente
L’offre de biomasse est limitée et, jusqu’au milieu du 19ème siècle, l’Humanité a connu des crises de la biomasse avec des conséquences humaines (famines) et environnementales (destruction des habitats, inondations…) considérables*. Depuis 2000, on assiste à une augmentation de la consommation mondiale de biomasse par habitant, alors que la tendance était inverse de 1970 à 2000.
D’ores et déjà, ces limites de la production de biomasse sont apparues évidentes pour des secteurs comme la pêche, avec une surexploitation de nombreux stocks. En outre, la capacité de la biosphère à produire de la biomasse va sans doute diminuer du fait des dérèglements climatiques (voir la baisse de productivité des forêts).
2. Parce que la demande risque de rapidement dépasser l’offre de biomasse
Prenons l'exemple du « kérosène vert » pour l’aviation. L’aviation française ne représente que 9 % de la consommation de carburant des transports (67 millions de Tep au total) mais il faudrait utiliser au moins 50 % de la production française de biomasse disponible pour l’énergie pour remplacer d’ici à 2030 le kérosène fossile par du « biokérosène » .
3. Parce qu'on pourrait voir apparaître des conséquences sociales négatives
L’augmentation des prix, via cette tension offre/demande, peut (paradoxalement) encourager une augmentation de l’offre à court terme et une orientation vers les débouchés les plus rémunérateurs, avec des conséquences sociales négatives. C'est par exemple le cas de l’affouage dans les forêts communales, qui bénéficie souvent à des personnes à faible revenu mais qui peut disparaître s’il existe une forte demande solvable de bois. A l’échelle internationale, on assiste également à des phénomènes d’accaparement des terres pour assurer les besoins élevés de certains pays (ex : achats de terre en Afrique par la Chine).
4. Parce que produire de la biomasse consomme énormément de ressources
La production de biomasse consomme des ressources (100 litres d’eau environ par kilogramme de matière sèche, engrais, énergie) et peut avoir des impacts environnementaux (émissions d’azote et de gaz à effet de serre, érosion de la biodiversité) qui peuvent se traduire par un bilan global faiblement positif, voire négatif (ex : biocarburants de première génération). Ce bilan peut être d’autant plus mauvais que l’on cherchera à intensifier la production (Loi des rendements décroissants).
5. Parce que la surexploitation de la biomasse peut avoir des conséquences graves sur le long terme et de manière globale
Les conséquences de cette surexploitation peuvent être locales et à court terme mais aussi plus globale et à long terme, comme :
- la spécialisation des forêts pour privilégier la production de biomasse au détriment des autres services écologiques, y compris la fixation du carbone ;
- la « déforestation indirecte » liée à l’importation massive en Europe d’huiles usagées qui contournent l’interdiction d’importation d’huile de palme vierge mais dont l’origine est douteuse.
6. Parce que produire de l'énergie avec la biomasse ne permet pas une bonne valorisation de cette dernière
Même si elle est la plus économiquement rentable à court terme, l’utilisation de la biomasse pour produire de l’énergie est la plus mauvaise valorisation des molécules complexes issues de la photosynthèse. Il faut donc favoriser les usages valorisant les propriétés de ces molécules, directement (chimie verte) ou indirectement (bioinspiration).
Comment doit-on réguler la biomasse ?
1. En développant un message sur la nécessaire sobriété dans l’usage de la biomasse, et en encadrant les publicités sur le « vert » et le « naturel ».
2. En élaborant une hiérarchie des usages à encourager/décourager en priorité, en utilisant une analyse multicritères (économique, social, environnemental). Cette analyse devra :
- être « multiusagers » et prendre en compte les éventuelles créations d’inégalités environnementales, qui pourraient s’ajouter pour certaines personnes à des inégalités économiques ou sociales ;
- prendre en compte différentes perspectives temporelles, y compris des temps longs et très longs. En effet, la dynamique de la biodiversité oblige à penser dès maintenant des usages potentiels au-delà de la fin du siècle ;
- prendre en compte également la diversité des territoires et de leurs besoins actuels et futurs. Cela pourrait conduire à mettre en place des « assises de la biomasse » à une échelle régionale ou plus locale.
NB : il ne s’agit pas de considérer comme a priori « illégitimes » des usages non-alimentaires de la production agricole mais de les insérer dans cette hiérarchie globale.
3. En réduisant au maximum les usages « primaires » de la biomasse pour la production d’énergie et encourager les usages « secondaires » (déchets de bois, huiles de cuisson, résidus de culture…), en veillant aux risques de contournement. L’exemple du développement des méthaniseurs en Allemagne, alimentés directement par des cultures de maïs, parfois importées, est emblématique de ces dérives qu’il convient de réguler.
4. En encourageant la recherche et l’innovation sur des formes de production d’énergie non fondée sur la biomasse (carburants de synthèse).
5. En rémunérant les autres services écologiques liés à la production de biomasse et à la conservation d’écosystèmes ayant des biomasses importantes et riches en biodiversité. Cela supposerait notamment de donner une valeur à la biomasse non exploitée (valeur de stock).
Voir aussi la note de position d'Humanité et Biodiversité sur la méthanisation agricole.
_______
*Voir l’ouvrage de Benoit Daviron « Biomasse » (2020, Ed. Quae)
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