L'insuffisance environnementale du Plan stratégique national agricole
Le 22 décembre 2021, dans le cadre de la nouvelle Politique agricole commune (PAC) 2023-2027, la France a rendu son Plan stratégique national (PSN) à la Commission Européenne. Rédigé par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, le PSN élabore une feuille de route visant à atteindre les objectifs de la future PAC au niveau national. La Commission européenne sera seule juge du PSN et devra prononcer son verdict au plus tard à l’été 2022. Son application sur le territoire français prendra effet le 1er janvier 2023.
Quel constat global de ce PSN ?
Sur le plan environnemental (biodiversité-climat), le document présente des insuffisances et ne s’aligne pas avec les objectifs des principaux documents nationaux (Stratégie nationale biodiversité, Stratégie nationale bas carbone, etc.) et européens (Pacte Vert[1] et sa déclinaison dans les secteurs agricole/alimentaire via la stratégie « de la ferme à la fourchette »).
En effet, malgré les multiples alertes provenant d’un grand nombre d’acteurs de divers horizons (des associations telles que la Plateforme Pour une autre PAC, regroupant 45 organisations paysannes et citoyennes dont fait partie Humanité et Biodiversité, mais aussi des institutions comme l’Autorité Environnementale[2] ou encore la Cour des comptes), le ministère n’a pas su rehausser son niveau d’ambition dans la version finale du PSN rendue fin 2021.
Récemment, ce sont les députés français du groupe des Verts-ALE qui ont demandé (le 17 janvier 2022) au Cabinet du Commissaire Janusz Wojciechowski, de rejeter le PSN français. Les députés dénoncent un PSN « qui ne permettra pas à l’agriculture française de contribuer ni à l’effort climatique, ni au Pacte Vert européen en général ».
Les grandes zones d’ombre du PSN
En s’appuyant sur la nouvelle analyse proposée par la plateforme Pour une autre PAC en janvier 2022, cette version finale du PSN comporte encore des éléments non discutés en négociation, tel que le label « Haute Valeur Environnementale » (HVE), et n'a pas infléchi en faveur des avis suscités.
L’un des grands questionnements réside dans la notion « d’écorégime », nouveau cadre européen qui conditionne les aides des agriculteurs à des pratiques environnementales. 25 % de l’enveloppe des aides du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA)[3] sera destinée à ces écorégimes. Le point de clivage est le suivant : le PSN veut utiliser le label Haute Valeur environnementale (HVE) et le label Agriculture biologique (AB) comme moyens d’accès aux éco régimes. Le label HVE pourrait bénéficier à près de 70 % des agriculteurs dans l’état actuel de leurs pratiques selon le Ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Or, les institutions suscitées, l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) et de nombreuses associations dont la Plateforme Pour une autre PAC, dénoncent un cahier des charges ne permettant pas de mesurer la performance environnementale d’une exploitation. De plus, considérer la HVE au même titre que l’agriculture bio pourrait faire entrer ces labels en concurrence et désinciter à la conversion à l’AB.
Actuellement, une révision du label HVE est en cours par deux bureaux d’études : Épices[4] et Asca. Cependant, les concertations devraient être largement expédiées, « dans le seul but de rehausser à minima les critères pour convenir à la conditionnalité, mais sans réelle hausse de l’ambition environnementale » (Pour une autre PAC).
Par ailleurs, un doute plane autour des nouvelles mesures agro-environnementales et climatiques forfaitaires (MAEC). Si ces aides permettent d’accompagner les exploitations agricoles dans la transition agroécologique, les cahiers des charges présentent un niveau de détail que nous considérons trop faible.
Concernant les mesures gérées par les Régions dans la future PAC (aides non surfaciques du deuxième pilier), cette dernière version du PSN ne fournit qu'un faible niveau de détail. Le premier pilier (75 % des aides de la PAC) est dédié globalement aux aides directes des agriculteurs (revenus) et le second pilier (les 25 % restants) aux aides spécifiques, qui varient localement. Les aides non surfaciques concernent par exemple les aides à l'installation comme la dotation jeune agriculteur ou encore les aides à l'investissement, alors que les aides dites surfaciques correspondent à la conversion à la bio, un exemple connu de tous.
Enfin, avec près de 45 % des agriculteurs qui partiront à la retraite d’ici 5 à 10 ans, le PSN français ne répond pas aux enjeux liés au renouvellement des générations. Il est pourtant indispensable de renforcer l’attractivité de la profession agricole.
La position d’Humanité et Biodiversité
Humanité et Biodiversité espère que la Commission européenne contraindra le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation à rehausser le niveau d’ambition de son PSN. Il apparaît primordial d’assurer une cohérence entre les objectifs de l’Union européenne (neutralité carbone, Directive-cadre sur l’eau, soutien à l’agriculture biologique, etc.) et les mesures retenues dans le PSN français. En définitive, des mesures pertinentes devront aussi être prises pour sensibiliser, former et aider les bonnes pratiques environnementales dans les exploitations agricoles. Ce changement de paradigme devra favoriser la pérennisation des exploitations, tout en assurant un revenu stable aux agriculteurs.
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[1] Le Pacte vert vise à garantir que tous les secteurs de l'économie et de la société contribuent à la réalisation de l'objectif de zéro émission nette de gaz à effet de serre d'ici 2050 et la stratégie « la ferme à la fourchette » en est sa déclinaison sur le secteur agricole/alimentaire.
[2] L'Autorité Environnementale donne des avis, rendus publics, sur les évaluations des impacts des grands projets et programmes sur l’environnement et sur les mesures de gestion visant à éviter, atténuer ou compenser ces impacts, par exemple, la décision d’un tracé d’autoroute, la construction d’une ligne TGV ou d’une ligne à haute tension, mais aussi d’un projet local, dès lors qu’il dépend du ministère de la Transition écologique et solidaire (MTES), et qu’il est soumis à étude d’impact.
[3] Le FEAGA est l’un des deux instruments (avec le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) de financement de la politique agricole commune - PAC)
[4] Le bureau d’étude EPICES, en partenariat avec AScA, a été conçue pour répondre aux attentes en matière d’évaluation de politiques publiques et d’accompagnement stratégique, notamment dans les domaines du développement rural, de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’agriculture.
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