Guerre en Ukraine : l'Europe acte la remise en culture de jachères
L’invasion récente de l'Ukraine par la Russie nous confronte à la question de la dépendance de nos modèles agricoles et énergétiques. En effet, le conflit opposant les deux producteurs majeurs des marchés des céréales dans le monde pourrait engendrer des conséquences désastreuses sur le commerce mondial et les prix de certains produits. Face à cette crise, les défenseurs d’un système agricole à forte consommation d’intrants se sont emparés du sujet pour justifier la nécessité de produire plus, mettant ainsi en péril les objectifs environnementaux du Pacte Vert Européen, déclinés pour le volet alimentaire dans la stratégie "De la ferme à la fourchette". Nous réagissons.
Guerre en Ukraine : des répercussions sur l’agriculture européenne et française
Selon la plateforme Pour une autre PAC, en fournissant près d'un quart des engrais azotés utilisés en agriculture et un tiers du gaz consommé dans l'UE , la guerre a d’ores et déjà des impacts dans ce secteur. La Russie a dernièrement recommandé à ses producteurs d'engrais de suspendre leurs exportations, faisant ainsi augmenter le prix du gaz et des engrais. Par conséquent, l’utilisation massive des engrais de synthèse dans notre système agricole est mise en péril par notre dépendance énergique au gaz russe. En effet, les engrais azotés sont fabriqués à partir d’ammoniac, or 80 % du coût de production d’ammoniac est lié à l’utilisation du gaz !
Ainsi, la trop forte interdépendance entre marché des engrais et marché des céréales représentent un danger pour les agriculteurs européens. En plus d’une hausse des prix des engrais azotés, les agriculteurs sont exposés à une baisse de la disponibilité des céréales importées de Russie et d’Ukraine. L’inquiétude est forte puisque près de la moitié du maïs importé par l’Europe provient d’Ukraine, et de nombreux éleveurs ont recours à l’achat d’alimentation animale. En France, le secteur des productions animales industrielles hors-sol comme les volailles et porcs sont les plus touchés par les fluctuations des marchés.
À cela, il faut ajouter la question de la production du tournesol, qui va également devenir une denrée de plus en plus rare. L’Ukraine et la Russie écoulent à elles deux 80 % de l’huile de tournesol commercialisée sur la planète.
Les prix ont explosé ces derniers mois et la situation pourrait encore s'aggraver dans les temps à venir. La récolte 2022 pourrait être amputée jusqu'à 30 % par rapport à celle de l'année 2021 puisque la guerre se déroule dans les régions-clés de la production de graines de tournesol.
L’instrumentalisation de la guerre pour produire plus
En réponse au contexte actuel, la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles) a proposé de remettre la souveraineté alimentaire en priorité absolue. La logique de modeste décroissance initiée par la stratégie européenne « Farm to Fork » (de la ferme à l'assiette), réduisant de moitié l’usage de pesticides et de 20 % celui d’engrais d’ici 2030, est largement remise en cause par le syndicat professionnel majoritaire dans la profession agricole. LA FNSEA veut suspendre l’obligation de la future PAC de consacrer 4 % des surfaces en surfaces « non productives », en maintenant le potentiel de production. Cette ambition renvoie à l’idée que la France doit garder son statut de pays exportateur (troisième exportateur mondial, soit 6,7 % de part de marché mondial) pour limiter le risque de crise alimentaire.
Sur la même lancée, ce mercredi 23 mars, afin d’éviter une crise alimentaire mondiale, la Commission européenne a notamment décidé de lever l’obligation de mettre certaines terres en jachère. Concrètement, cette dérogation au verdissement de la PAC permet désormais aux agriculteurs de cultiver toutes plantes destinées à l’alimentation humaine ou aux animaux, sans perdre pour autant l’accès aux « paiements verts ». Décision qui a été largement appréciée par la FNSEA.
Des mesures à rebours pour une transition agroécologique
Concernant la levée d’obligation de mettre certaines cultures en jachère, la décision de la Commission européenne est contre-productive pour atteindre les objectifs environnementaux, puisqu’elle ne les contraint pas à installer une infrastructure agroécologique sur les exploitations. Or, ces surfaces représentent des intérêts écologiques en assurant la protection de la biodiversité, notamment des abeilles, dans les milieux agricoles. Elles favorisent également le maintien et la reconstitution des réserves en eau tout en limitant la surproduction agricole.
De manière générale, ces mesures sont en réalité de fausses solutions qui ne considèrent pas les effets de long terme, en témoigne la remarque de Mathias Ginet, pour Terra Nova : « la recherche à court terme d’un choc de production par l’augmentation des rendements (…) risque de se heurter à la hausse du prix des intrants et de générer des externalités négatives en matière environnementale (émissions de gaz à effet de serre, épuisement des sols..). Le tout sans générer des gains véritablement significatifs sur les rendements, qui sont déjà très élevés ».
Position d'Humanité et Biodiversité
Humanité et Biodiversité, entièrement solidaire du peuple Ukrainien, ne peut valider des stratégies défendant un modèle agricole à forte dépendance aux intrants et produits phytosanitaires. Il est indispensable d’avoir une vision sur le long terme et d’engager une transition agroécologique vers des systèmes à la fois plus résilients et moins dépendants. Il faut trouver des mécaniques pour réguler les spéculations et cesser les hausses de prix inconsidérées sans raison économique justifiable. Nos agriculteurs ont besoin d’être plus accompagnés, autonomes et économes.
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