4 piliers pour réussir la transition écologique
Publié le 28/09/2022
La transition écologique comporte de multiples volets : transition énergétique, agricole et alimentaire, sanitaire, de l’habitat, des transports, de l’utilisation des ressources naturelles (eau, sol, air, biodiversité). En outre, elle doit s’inscrire dans le temps long, l’échéance 2050, souvent citée, ne pouvant être considérée comme un aboutissement. Par rapport à ces deux aspects, on pourrait envisager de poursuivre l’approche politique classique des politiques sectorielles spécifiques, propres à chacun de ces volets, en essayant de les « écologiser ». Une telle approche a cependant montré ses limites, par exemple dans la réduction des émissions de gaz à effets de serre ou de l’érosion de la biodiversité. Trois de ces limites sont majeures, et sont en particulier illustrées dans l’actuel projet de Loi sur l’accélération de la mise en place des énergies renouvelables.
Limite n°1 : une approche sectorielle qui conduit souvent à méconnaître les multiples interactions qui existent entre les différentes transitions
Certaines filières énergétiques utilisent aussi beaucoup d'eau (le nucléaire), l'irrigation (et la fourniture d'eau potable) consomment aussi de l'énergie, l'alimentation (agriculture mais aussi son amont et son aval) consomme de l'eau et de l'énergie… Pour éviter ces externalités négatives, il est impératif de réaliser des analyses systémiques (analyse sur l’ensemble du cycle de vie, analyse multicritères), prenant en compte ces interactions.
Limite n°2 : la capacité de l’action publique à s’inscrire dans le temps long, et même très long
On le voit par exemple dans le projet de Loi précédemment mentionné, qui se propose de remettre en cause, certes de manière dite « temporaire » (mais peut-on considérer 48 mois comme une durée temporaire), le principe de non-régression du droit de l’environnement inscrit dans la Loi sur la biodiversité, adoptée en 2016 sous la mandature de l’actuel Président de la République. Des solutions existent cependant, comme la création d’Agences dédiées, dotées de ressources affectées, d’une programmation pluriannuelle et d’une gouvernance impliquant tous les acteurs concernés (ADEME, ANHA, Agences de l’eau, OFB). Cette solution ne permet pas de « sanctuariser » certains domaines d’action mais instaure une « inertie » (au sens positif du terme) vis-à-vis des aléas économiques ou politiques. Encore faut-il que les gouvernements respectent ces principes et ne considère pas les budgets issus des ressources dédiées à ces agences comme des fonds annexes dans lesquels ils peuvent prélever pour d’autres usages (comme c’est le cas, pour les Agences de l’eau, à travers le « plafonnement » de leurs ressources). Sans préconiser la création d’une nouvelle agence, nous considérons qu’un dispositif efficient (doté de vrais pouvoirs d’intervention) et durable de coordination des agences concernées serait à instaurer.
Limite n°3 : cette transition écologique ne pourra atteindre ses objectifs que si elle s’appuie sur des fondations solides, et même consolidées au fur et à mesure que cette transition progressera
Quatre « piliers » sont pour nous majeurs : la sobriété, l’appropriation, la biodiversité et la solidarité. Encore une fois, il ne s’agit pas seulement de « respecter » ces piliers, de veiller à ne pas (trop) leur porter atteinte ; il s’agit de reconnaître que l’état actuel de ces piliers est préoccupant et qu’il convient donc, de manière aussi urgente que la mise en place des différents volets de la transition écologique, de les renforcer.
Le pilier de la sobriété est, dans son principe, admis dans de nombreuses projections. Les scénarios énergétiques de RTE évoquent ainsi une réduction de la consommation énergétique totale de 40% à horizon 2050 et des objectifs comme le ZAN (zéro artificialisation nette) en témoignent pour la consommation d’espace. Pour promouvoir cet objectif de sobriété, il nous semble cependant important de le clarifier, en réfutant divers attributs négatifs que certains voudraient lui attribuer. La sobriété ne doit pas être présentée comme un principe vertueux et général : il ne doit s’appliquer qu’à des ressources « critiques », ce qui signifie que l’augmentation de la consommation d’autres ressources n’est nullement à exclure : pour des ressources abondantes et peu consommatrices de ressources "critiques", gavons-nous de randonnées, de baignades, de spectacles et de lectures... Ceci évacue au passage l’argument parfois avancé que la sobriété ne serait que de la décroissance « rebaptisée ». Un autre dilemme à refuser serait le choix à faire entre la sobriété, qui ne serait qu'une affaire de comportement individuel, et l'efficacité qui serait l'affaire de la technologie. Pour être sobre, on peut avoir besoin de technologies et d'innovations (voir bla-bla car, les vélos électriques, les leds, les technologies de recyclages, l’écoconception....) et, inversement, la recherche d'efficacité tout le long de la chaîne de valeur peut conduire à de la sobriété dans l'utilisation d'une ressource. C'est d'ailleurs également pour cela que la sobriété peut être un "relai de croissance" et augmenter le PIB, avec en outre des co-bénéfices environnementaux.
L’appropriation par tous les citoyens de la nécessité de la transition écologique, dans toutes ses composantes, en particulier la compréhension des conséquences concrètes, pour eux et leurs proches (y compris leurs enfants) de cette transition est le second pilier incontournable. Il n’est pas nécessaire d’insister ici sur le caractère insatisfaisant de la situation actuelle, en termes de crédibilité de l’action publique et du degré d’information et d’éducation dans ce domaine. Il s’agit bien sûr de continuer à mettre en place, au plus près des citoyens, des débats publics effectifs (en évitant donc visioconférences ou consultation uniquement électroniques), sur la base de documents informatifs comme ceux que produit la CNDP. Mais il s’agit aussi, en amont, de renforcer l’éducation et l’acculturation de tous (à l’école, dans les centres de culture scientifique et technique, dans la formation des « décideurs »…) et, surtout, en aval, de prendre des décisions respectant au mieux les résultats de ces débats. Pour nous, toute action sectorielle devra comporter un volet d’amélioration de ce pilier.
La « reconquête » de la biodiversité constitue pour nous le pendant indispensable de toute démarche se réclamant de la transition écologique. Là aussi, au niveau du discours politique, la nécessité de porter au même degré de priorité la lutte contre les dérèglements climatiques et celle contre l’érosion de la biodiversité est désormais reconnue au plus haut niveau, comme le montre le discours du Président de la République à Marseille en septembre 2021. Cela est d’autant plus nécessaire que, comme évoqué précédemment, certains choix sectoriels relatifs à la lutte contre les dérèglements climatiques pourront impacter fortement, directement ou indirectement, la biodiversité et que des mesures d’urgence, présentées comme transitoires, pourront souvent avoir des impacts très durables (comme l’autorisation de remettre en culture les jachères de longue durée, les dérogations sur les températures de rejet des centrales nucléaires ou l’utilisation de pesticides jugés « indispensables » mais affectant la santé ou l’environnement). Dans ce domaine de la biodiversité, près de 20 ans après la mise en place de la première stratégie nationale de la biodiversité, on mesure aujourd’hui les limites de stratégies dédiées, en particulier si elles ne portent que sur la création d’espaces « protégés », dont la réalité de la protection est en outre souvent contestée. Le consensus dans ce domaine est international, comme le montre les rapports de l’IPBES : c’est au cœur même des politiques sectorielles (énergie, alimentation, habitat, transport, éducation…) qu’il faut inscrire et prendre en compte les enjeux de la biodiversité, par des actions concrètes dépassant largement la doctrine ERC (éviter, réduire, compenser) et contribuant à la restauration de la biodiversité sur l’ensemble de notre territoire.
Enfin, le pilier de la solidarité et de prise en compte des inégalités qui peuvent naître ou se renforcer du fait de la transition écologique est pour nous majeur. A travers divers mouvements sociaux, de nombreux signaux d’alarme, en France ou dans d’autres pays, ont été lancés au cours des dernières années. En outre, pour diverses raisons, la croissance des inégalités, qu’elles soient réelles ou perçues, risque de se renforcer à l’avenir. La maxime d’un précédent ministre de l’écologie « La transition écologique sera solidaire ou ne sera pas » reste donc d’une totale actualité et toute initiative liée à cette transition, devra donc identifier, au même titre que ses impacts sur l’environnement, son impact sur les inégalités, tant réelles que perçues, et, en particulier, sur les plus pauvres, et proposer des mesures non seulement pour les prendre en compte, mais pour contribuer à les réduire.
En conclusion, la prise en compte de ces quatre piliers, à tous les niveaux de l’action publique (depuis les communes jusqu’aux accords internationaux engageant notre pays) et la mise en place de mesures significatives pour les renforcer, constituera notre cadre d’évaluation critique de toute initiative se réclamant de la transition écologique.
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