Position H&B - Énergies Marines Renouvelables (EMR)
Mars 2023
Les 5 revendications phares d'Humanité et Biodiversité :
- Le développement d’éoliennes en mer, comme toutes les politiques publiques, ne doit pas se limiter à éviter ou réduire son impact sur la biodiversité. Il doit contribuer POSITIVEMENT à la restauration de la biodiversité ;
- Il est impératif de ne pas implanter ces installations dans des zones de protection forte ;
- La mise en place d’un observatoire de l’éolien en mer doit s’inscrire dans le long terme, avec des moyens récurrents et des capacités réelles d’intervention lorsque des impacts négatifs seront observés ;
- L’évaluation des projets ne doit pas se faire sur le seul bilan carbone et doit prendre en compte une diversité de critères économiques, sociaux et environnementaux ;
- Enfin, le débat démocratique doit se faire non seulement au niveau des projets précis mais aussi au niveau de la planification à plus grande échelle.
Pour le développement d’une Économie bleue durable et équitable
L’océan constitue le plus vaste biome de notre planète (notamment par son immense volume) et il contribue de multiples façons au bien être des humains : par la production de biens alimentaires, de ressources énergétiques, la fourniture de services récréatifs et culturels, la régulation du climat, etc. Les littoraux sont des milieux particulièrement attractifs qui concentrent une multitude d’activités comme la pêche et l’exploitation de ressources marines, les activités de loisirs (pêche, plongée, sport nautique et plaisance, etc.), le transport maritime des personnes et des marchandises, la production d’énergie, les activités militaires et de défense, etc. Ces activités sont bien souvent dépendantes de l’état écologique de l’océan et du littoral mais elles font également peser des pressions sur ce milieu (extraction des ressources, destruction et perturbation d’écosystèmes, pollutions, etc.).
Le terme « économie bleue » concerne tous les secteurs d’activités dépendants du milieu marin et du littoral terrestre (les ports, les chantiers navals ou les infrastructures côtières, les bassins versants). Selon le rapport 2021 de la Commission européenne[1], l’économie bleue représente 4,5 millions d’emplois et 650 milliards d’euros de chiffres d’affaires pour l’Union Européenne. Le développement d’une économie bleue durable et équitable figure parmi les défis à relever pour la décennie à venir . Pour toutes les filières concernées, il est nécessaire d’opérer une transition vers des modèles plus durables, neutres en carbone et respectueux du milieu marin et de sa biodiversité.
Pour un développement des Énergies Marines Renouvelables (EMR) contribuant à la transition énergétique, mais respectueux des enjeux de biodiversité
Face au changement climatique et à ses impacts qui menacent nos sociétés mais aussi la biodiversité, il est urgent d’œuvrer pour la transition énergétique afin d’atténuer nos émissions de gaz à effet de serre. Du fait de l’importance de ces questions pour notre société, le développement « massif » des différents types d’énergies renouvelables à l’horizon 2050, tout comme le maintien du nucléaire, doit faire l’objet d’une large consultation du public. Nous avons donc insisté sur la nécessité d’un grand débat sur l’avenir énergétique de la France, ouvert à tous, et sous la garantie d’une autorité indépendante du pouvoir politique.
Le débat citoyen sur le mix énergétique a été ouvert en 2022 avec le lancement d’une concertation publique sur l’avenir de notre mix énergétique. Ouverte à tous, elle visait à préparer la feuille de route que la France doit présenter au plus tard fin 2024 afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Trois thèmes ont été abordés : l’adaptation de notre consommation, les moyens de satisfaire nos besoins tout en sortant de notre dépendance aux énergies fossiles, et la planification et le financement de la transition. Le bilan de la concertation est disponible sur concertation-strategie-energie-climat.gouv.fr.
La note qui suit tente d’ouvrir le débat et ne tranche, de ce fait, volontairement pas sur la part des EMR dans notre futur mix-énergétique.
Un secteur en essor en Europe et bénéficiant de progrès technologiques
Les EMR (énergies marines renouvelables qui comprennent l’éolien offshore posé ou flottant, l’énergie marémotrice, houlomotrice, hydrolienne, l’énergie thermique des mer et l’énergie osmotique) peuvent constituer - parmi d’autres - des alternatives intéressantes pour atteindre l’objectif de neutralité carbone. Si la majorité des EMR sont encore au stade d’expérimentation en France, l’éolien offshore s’est beaucoup développé en Europe, notamment au Royaume Uni, au Danemark et en Allemagne. Les éoliennes offshores présentent certains avantages puisque les vents sont plus forts et réguliers en mer que sur terre, et l’implantation au large limite les conflits d’usage et l’impact esthétique (permettant des éoliennes plus grandes). Les progrès techniques ont progressivement permis d’augmenter la puissance, de diminuer les coûts de production de l’énergie[3] et d’avoir un facteur de charge supérieur aux autres énergies renouvelables[4]. Cet aspect est important car le développement de la filière éolienne offshore dépend de son coût et surtout des prix relatifs vis-à-vis des autres filières de production énergétique. En effet, le prix d’achat constitue une question centrale, avec des conséquences pour les finances publiques. L’Etat fixe une valeur cible du prix d’achat, résultant d’un arbitrage politique entre les enjeux énergétiques, climatiques, budgétaires et industriels[5].
En l’état actuel des connaissances, le développement de l’éolien flottant, plus éloigné des côtes, devrait améliorer les performances de la filière (vents constants du large, structure moins impactante sur les habitats marins) et pourrait présenter moins de conflits avec les autres activités.
La multiplication des projets en France pour pallier son retard dans le développement de l’éolien en mer
Malgré un fort potentiel[6], la France ne compte actuellement qu’un seul parc éolien offshore commercial, celui au large de Saint Nazaire, mis en service en 2022. Plusieurs parcs sont néanmoins en chantier[7]. La programmation pluriannuelle de l’énergie prévoit l’installation de 5,2 à 6,2 GW de projets à l’horizon 2028 pour l’éolien offshore. Ces objectifs pourraient être revus dans le cadre de la nouvelle Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) pour la période 2024-2033, qui devrait être adoptée au premier semestre 2024. L’objectif du gouvernement à long terme, énoncé lors du discours de Belfort, serait d’atteindre 50 parcs éoliens en mer pour 40 GW raccordés en 2050. Ce vaste plan s’accompagne d’une volonté de développer la filière et le savoir-faire en France et par conséquent de créer de l’activité et de l’emploi sur le territoire national.
Face à ces objectifs ambitieux du gouvernement, la planification maritime , articulant les différentes activités maritimes et les différents enjeux pour une façade maritime, est cruciale.
La nécessité d’une planification maritime pour concilier les différentes activités maritimes et la protection de la biodiversité
Ces projets de parcs éoliens doivent prendre en compte les aspects économiques, environnementaux et socio-culturels des espaces dans lesquels ils s’inscrivent. Les EMR posent en effet la question de la planification des différents usages dans le milieu marin et elles peuvent entrer en conflit avec les autres activités économiques maritimes comme la pêche, mais aussi avec d’autres objectifs réglementaires tels que la préservation de la biodiversité. La phase opérationnelle mais surtout la construction de ces parcs éoliens occasionne des impacts environnementaux[8] et peut perturber les écosystèmes marins (par les émissions sonores, le remaniement des fonds, la présence de la structure et son effet barrière, l’électromagnétisme des câbles sous-marin, la pollution chimique, etc.) avec des impacts sur les mammifères marins, l’avifaune, les chiroptères, et les poissons[9]. Ces impacts cumulés sur la biodiversité marine pourraient ne pas être anecdotiques dans un contexte où 30% des mammifères marins et 40% des oiseaux marins sont déjà menacés d’extinction. Il semble donc crucial d’éviter d’implanter ces EMR dans les zones les plus sensibles, riches en biodiversité et protégées à ce titre par la législation[10].
Il est essentiel de trouver un équilibre entre la préservation de la biodiversité et la nécessité de développer nos énergies renouvelables (qui restent beaucoup moins impactantes que les énergies fossiles) dans le respect des procédures d’évaluation environnementale et de participation du public.
Dans le cadre d’un grand débat sur l’avenir énergétique de la France et dans le cadre de l’élaboration de la prochaine PPE, il nous apparait crucial de traiter et répondre aux questions suivantes, souvent récurrentes dans les débats et concertations publics sur l’éolien en mer :
1) Quelle place accorder à l’éolien en mer dans le plan énergétique français ?
Pour répondre à cette question, il convient d’évaluer les performances de la filière éolienne en mer avec une approche multifactorielle, c’est-à-dire non seulement en termes de bilan carbone (contribution à la baisse des émissions), mais aussi de coûts économiques (investissements et coûts de fonctionnement, prix de rachat de l’électricité, coûts pour la puissance publique et prix pour le consommateur, cout de démantèlement), de retombées économiques (emplois, développement d’une industrie française, retombées locales), d’impacts et de risques environnementaux (analyse de cycle de vie, impacts paysagers, impacts sur la biodiversité). Ce bilan doit être mis en regard avec le bilan des autres alternatives existantes (autres énergies renouvelables et nucléaire) afin de déterminer s’il est pertinent de développer les EMR et dans quelle proportion.
Quelles technologies privilégier pour l’éolien en mer : Les éoliennes flottantes ou les éoliennes posées ? le courant continu ou alternatif ? Comment gérer les intermittences ?
Peut-on s’assurer que le développement de cette énergie soit bénéfique à l’emploi local ?
2) Comment planifier les zones de développement de l’éolien en mer et mettre en place une réelle planification maritime, prenant en compte les pressions cumulés sur l’environnement ? Que faut-il prendre en compte dans le choix de la zone de développement ?
Par ailleurs, il doit être clairement établi dans la Stratégie Nationale pour la Mer et le Littoral (SNML) et explicité dans les documents stratégiques de façade (DSF) si les projets de parc éolien offshore peuvent s’établir à l’intérieur ou à proximité des aires marines protégées et des zones sous protection forte, et le cas échéant sous quelles conditions et avec quelles garanties ? Bien que les études d’impact pourraient rassurer sur les effets limités des projets sur les écosystèmes marins, nous devons veiller à l’application stricte du principe de précaution et ne pas soumettre – a minima - des zones de protection forte à ce type de pression. Humanité et Biodiversité propose d’ailleurs d’imposer 10% de protection forte par façade maritime (et non 10% du territoire marin dans son ensemble, comme ce qui est prévu actuellement).
3) Concernant les impacts environnementaux des parcs, plusieurs questions se posent : Comment évaluer ces risques ?
Ces risques sont-ils acceptables, au regard de l’enjeu de transition énergétique ? La France dispose de relativement peu de données environnementales sur le milieu marin, en particulier concernant l’impact de l’éolien sur la faune et elle n’a pas attendu les résultats des démonstrateurs pour lancer de nombreux projets. Acquérir ces données est crucial et le gouvernement a créé en 2021 un Observatoire de l’éolien en mer doté de 50 millions d’euros sur trois ans dont l’objectif est de « nourrir les démarches de planification du développement à venir de l’éolien en mer et répondre aux préoccupations des acteurs, notamment en ce qui concerne les impacts sur la biodiversité marine et sur la ressource halieutique ». Cela nous amène à nous demander dans quelle mesure les décisions concernant le développement des futurs parcs s’appuieront sur ces études et suivront l’avis des experts s’ils s’avèrent contraires aux projets ? En outre, la durée de trois ans est certainement insuffisante pour juger de l’effet de ces infrastructures sur les écosystèmes marins. Il nous semble donc impératif d’assurer la pérennisation des moyens de cet observatoire.
Par ailleurs, les critères environnementaux des cahiers des charges actuels n’en font pas un élément discriminant dans le choix des porteurs de projet[11] : quelle pondération devrions-nous attribuer aux critères environnementaux, aux critères économiques[12] et aux critères sociaux et de développement territorial dans le classement des porteurs de projets ?
Quels moyens (humains et financiers) seront alloués au contrôle du respect des objectifs de la Directive cadre sur le milieu marin (DCSMM) et de la séquence ERC ?
4) L’éolien en mer peut-il coexister avec les autres activités maritimes ? Comment les parcs éoliens peuvent-ils s’intégrer dans le territoire ?
Le développement des éoliennes en mer pourrait avoir des retombées locales positives, comme le développement de la filière ou la création d’emplois locaux. Mais il peut également avoir des impacts négatifs sur les collectivités (impacts visuels) et certains acteurs (pêche, tourisme, etc.). Il convient de se demander : dans quelle mesure ces impacts peuvent être évités ? Doivent-ils être compensés financièrement (et par quel biais) ? De quelles manières ces acteurs peuvent-ils être associés à la planification du projet ? Certaines activités (notamment la pêche et l'aquaculture) sont-elles compatibles avec les parcs éoliens et sous quelles conditions peuvent-elles être autorisées au sein ou à proximité des parcs offshore ? Serait-ce une opportunité de développer une nouvelle forme d’aquaculture ?
5) Chaque projet d’EMR inscrit dans les DSF doit faire l'objet d'une concertation ou d'un débat public, en complément du débat public organisé pour le DSF dans son ensemble. La planification envisagée ne doit pas être un exercice technocratique. Chaque projet de parc éolien en mer doit donc associer les publics selon les pratiques habituelles de la CNDP.
Nous soulignons par ailleurs qu'il est incohérent que la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ne soit plus soumise à obligation de saisine de la CNDP sur l'organisation d'un débat public, suite à une dérogation introduite par la loi énergie climat de 2019 : rien ne justifie qu'un plan-programme aussi important soit exonéré de cette modalité de participation du public à l'élaboration des décisions, appliquée à juste titre à d'autres plans ou programmes de bien moindre portée.
________
[1] European Commission (2021). The EU Blue Economy Report. 2021. Publications Office of the European Union. Luxembourg.
[2] The Science We Need for the Ocean We Want -The United Nations Decade of Ocean Science for Sustainable Development (2021-2030) (p. 20). (2020). IOC Brochure 2020-4 (IOC/BRO/2020/4) ; CP de la Commission européenne "Le pacte vert pour l'Europe: développer une économie bleue durable dans l'Union européenne"
[3] Pour le projet éolien de Dunkerque, le prix de l’électricité fixé dans l’offre du lauréat est de 44€/MWh. À titre de comparaison, le coût de l’éolien terrestre se situe actuellement entre 60-70€/MWh et le photovoltaïque au sol entre 40 et 70€/MWh. Voir le site polytechnique-insights.com
[4] ADEME. 2019 . Eolien offshore : analyse des potentiels industriels et économiques en France
[5] Notons qu’il existe maintenant des appels d’offre sans prix de rachat
[6] La France bénéficie du deuxième gisement de vent pour l’éolien en mer après la Grande-Bretagne en Europe
[7] Fécamp, Courseulles-sur-Mer, Saint Brieuc. D’autres parcs ont été attribués et les projets sont lancés à Dunkerque, Dieppe-Le Tréport, au Sud de la Bretagne… Et des appels d’offres sont lancés en Méditerranée pour l’éolien flottant
[8] Cycleco 2015. « Analyse du Cycle de Vie de la production d’électricité d’origine éolienne en France », Rapport final. ADEME
[9] Bennun, L., van Bochove, J., Fletcher, C., Wilson, D., Phair, N., Carbone, G., (2021). Industry guidance for early screening of biodiversity risk - offshore wind. Gland, Switzerland: IUCN and Cambridge, UK: The Biodiversity Consultancy. Voir aussi Le Visage, C., Léon, C., Teillac-Deschamps, P., & Azam, C. (2021). Analyse de l’intégration des enjeux de biodiversité dans l’évaluation environnementale des projets éoliens offshore. Paris: UICN. Voir aussi Reynaud, Marine, Le Bouhris, Enored, Soulard, Thomas, & Perignon, Yves. (2021). Rapport de suivi environnemental de l'éolienne flottante FLOATGEN, site d'essais SEM-REV. Zenodo.
[10] Voir un exemple de projet éolien dans des zones protégés ; Voir aussi l'analyse juridique par Laurent Bordereaux concernant l’implantation d’EMR dans les zones protégées.
[11] À titre d’exemple, voir la délibération de la CRE du 10 mars 2022 et l'appel d’offres portant sur des installations éoliennes de production d’électricité en mer en France métropolitaine
[12] Selon les règles européennes, la notation ne doit porter que sur des critères objectifs et non discriminatoires et le prix doit constituer le critère principal.
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