Hommage à Raphaël Larrère
Publié le 20/01/2025
Humanité et Biodiversité rend hommage à l'ingénieur agronome et chercheur français Raphaël Larrère, récemment disparu. Ancien directeur de recherche à l’INRA, ce spécialiste en éthique environnementale était par ailleurs un proche de notre association.
Raphaël Larrère nous a quittés le 4 janvier dernier. Il a été un ami de notre association, discret et bienveillant, que nous savions toujours prêt à répondre à nos sollicitations. Pour lui rendre hommage et montrer tout ce qu’il nous a apporté, permettez-moi de retracer son parcours intellectuel, mais aussi humain.
Agronome et sociologue, chercheur à l’INRA mais aussi enseignant dans divers établissements, il a été parmi les premiers à s'intéresser aux relations des humains avec l'environnement.
Il a d'abord travaillé sur l'élevage, avec une volonté de décrire et de comprendre les évolutions rapides qui, dans les années 1970, bouleversaient les modes d'élevage traditionnels au nom de la « modernité ». C'est à travers des études concrètes sur le plateau de Millevaches, dans la Margeride ou sur le massif de l'Aigoual, qu'il commence à s'intéresser au milieu naturel, en tant que construction sociale progressive sur le long terme.
Dans ces milieux où la forêt progressait, spontanément ou sous l'effet de politiques publiques volontaristes, il a été amené à s'interroger sur les processus de dissociation progressive de l'agriculture et de la forêt. Il développe en particulier une analyse critique du discours de l'administration forestière visant à se débarrasser des droits d'usage dont disposaient historiquement les paysans pour légitimer les reboisements.
En 1986, il devient membre du Conseil national de protection de la nature et renforce son intérêt pour ce thème. Mais il apporte une approche sociologique, en considérant la protection de la nature comme un nouvel usage, et les protecteurs de la nature comme de nouveaux usagers qui cherchent à imposer leur légitimité, voire l’exclusivité de cet usage. Cela l'amène à étudier en particulier, dans le cas du parc naturel national des Cévennes, les conflits de représentation entre les forestiers et les écologistes, avec des visions radicalement opposées de ce que deviendrait le territoire en l'absence d'intervention humaine.
Cette approche par les représentations des acteurs et de leurs conflits l’amène, à partir de 1992, à l'éthique environnementale, en revisitant dans un premier temps ces travaux antérieurs. Il développe en particulier la notion d'un « contrat domestique » qui, dans les modes d'élevage traditionnels, unissait les hommes et les animaux dans des échanges réciproques de services, mais aussi d'informations et de perception. Pour lui, la rupture de ce contrat domestique par le modèle industriel, qui transforme les animaux en simple outil de production, est à l'origine du malaise social de l'élevage, au-delà de ces difficultés économiques.
Cette interrogation sur l'éthique des relations entre les humains et les animaux, domestiques ou sauvages, s'accompagne d'une volonté de mettre ses réflexions à la portée d'un public plus large. Il participe donc à la création des conférences et des ouvrages INRA « Sciences en question » en invitant des personnalités comme Bruno Latour ou Philippe Descola à y intervenir.
En collaboration avec Catherine Larrère, sa compagne et philosophe, il développe ensuite considérablement ses réflexions sur l'éthique environnementale. Il a la conviction que la puissance des technologies contemporaines, notamment des biotechnologies, peuvent aboutir à rendre la planète inhabitable, et que ceci constitue une rupture majeure, et insuffisamment perçue, vis-à-vis d'une conception qui voyait les actions humaines sur la nature comme « superficielles », et les technologies comme « neutres ». C'est dans ce cadre qu'il a collaboré à notre colloque de 2016 « Quelles éthiques pour les relations humains-biodiversité ». Il y développa notamment, dans le cas de l’agriculture, la distinction entre les « Arts du faire », qui visent à maîtriser les processus naturels, et les « Arts du faire-avec », qui, à l’image d’un navigateur qui s’appuie sur les vents et les courants, s’appuient sur ces processus pour piloter une production agricole ou alimentaire.
Combinant l'agronomie, l'histoire, la sociologie, la philosophie des sciences, l'œuvre originale de Raphaël Larrère a alimenté nos réflexions sur les relations entre Humanité et Biodiversité, et continuera de le faire. Il revendiquait d'ailleurs ce nomadisme intellectuel en écrivant « chaque fois que je suis parvenu à acquérir une certaine reconnaissance dans un domaine, j’ai saisi toutes les occasions de le délaisser ».
Cette diversité d'approches lui permettait d'analyser avec une grande finesse, mais aussi avec jubilation, les sujets qu'il abordait. Il illustrait merveilleusement bien la distinction célèbre de Blaise Pascal entre « l’esprit de géométrie » et « l’esprit de finesse ».
À une époque où les visions aussi simplistes que radicales tendent à se développer, je lui laisserai le dernier mot pour nous dire « J’ai toujours décidé de considérer les situations comme complexes, les pratiques et les discours comme polysémiques. Cela ne simplifie pas les choses, mais c’est bien plus amusant ».
Merci à toi Raphaël.
Bernard Chevassus-au-Louis
Président d'Humanité et Biodiversité
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Photo de couverture : Raphaël Larrère © Julien Bauer - Des Mots et Débats
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