Allier gestion du trait de côte et préservation des milieux littoraux
Publié le 18/11/2025
Face à l’érosion accrue, à la montée des eaux et à la fragilisation des milieux littoraux, la gestion du trait de côte devient un enjeu majeur. Comment protéger les territoires tout en préservant des écosystèmes qui constituent aussi des alliés naturels ? La parution du référentiel co-édité par l’OFB et le Cerema, dans le cadre du programme Life Marha, offre l’occasion de revisiter les pratiques de gestion côtière et leurs effets sur les milieux marins. En croisant science, ingénierie et gouvernance locale, il propose des pistes pour adapter durablement l’aménagement littoral aux défis du changement climatique.
Comment concilier gestion du trait de côte et préservation des milieux marins ?
En parallèle, les espaces naturels sont-ils les alliés des acteurs de la gestion du littoral ?
La publication du nouveau référentiel co-édité par l'Office français pour la biodiversité (OFB) et le Cerema (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement) est l’occasion de se poser ces questions.
Cet ouvrage offre une vue d'ensemble des approches de gestion du trait de côte et présente les principales techniques mobilisées, en précisant leurs effets potentiels sur les écosystèmes marins et les mesures environnementales associées. Il est le fruit d’un travail mené dans le cadre du projet européen Life Marha, visant à renforcer l’intégration des enjeux environnementaux dans les politiques publiques littorales et maritimes.
Les littoraux français, riches mais menacés
Deuxième zone maritime la plus étendue au monde, la France dispose de facto d'un littoral conséquent avec 20 000 km de côtes et où vivent plus de 8 millions de personnes réparties sur 995 communes.
Ces littoraux sont menacés par le recul du trait de côte et la submersion, avec 20% de littoraux qui subissent chaque année un recul d'environ un mètre en moyenne nationale, parmi lesquels 700 000 hectares (ha) atteints en zone basse, c’est-à-dire au-dessous du niveau de la mer lors de conditions extrêmes.
Les écosystèmes littoraux de l'Hexagone constituent un ensemble d’une richesse exceptionnelle, façonné par la diversité des climats et des reliefs.
- Les côtes abritent des dunes et des plages sableuses, notamment sur le littoral Atlantique, et ces dernières jouent un rôle essentiel de protection contre les tempêtes et l’érosion éolienne, et hébergent une flore spécialisée comme l’oyat ou le panicaut ;
- Les falaises, plus présentes en Bretagne, Normandie et Provence, sont souvent constituées de granite ou de craie, offrent des niches pour les oiseaux marins.
- Les estuaires, tels que la Gironde ou la Loire, sont des zones de transition vitales pour de nombreuses espèces migratrices comme les poissons amphihalins.
- Les marais maritimes comme ceux de la baie de Somme ou du golfe du Morbihan participent à l’épuration de l’eau et sont des nurseries pour les poissons et les invertébrés.
- En Méditerranée, les herbiers de posidonie jouent un rôle essentiel tant dans la séquestration du carbone que dans la stabilisation des fonds.
- Dans les outremers, la diversité des littoraux est tout autant remarquable. Aux Antilles et en Polynésie, les récifs coralliens forment des barrières naturelles contre la houle, tout en abritant une biodiversité parmi les plus riches au monde. En Guyane, le littoral est dominé par la mangrove, un écosystème clé pour la stabilisation des sols vaseux et l’accueil de nombreuses espèces d’oiseaux et de poissons. À la Réunion et à Mayotte, les lagons protégés par le corail concentrent une grande variété d’organismes marins. En Nouvelle-Calédonie, le deuxième plus grand récif corallien au monde constitue un patrimoine naturel unique inscrit à l’UNESCO. Sans oublier les atolls polynésiens et les littoraux des terres australes et antarctiques françaises. Ainsi par exemple, la France héberge près de 60 000 km² de récifs coralliens, une superficie de 880 km² de mangroves et 18 % des 240 000 espèces marines répertoriées au niveau mondial.
Les milieux naturels littoraux français, outils face aux risques ?
Fragilisés par l’érosion, l’artificialisation, la pollution et le changement climatique, ces écosystèmes jouent pourtant un rôle crucial dans la résilience des territoires côtiers. Leur préservation apparaît aujourd’hui comme un enjeu majeur pour l’avenir environnemental et humain des littoraux français. Par ailleurs, la planification à long terme des actions de gestion du trait de côte s'impose comme un objectif incontournable, comme le souligne le rapport de la Cour des comptes de 2024 sur la gestion du trait de côte.
Nul doute que le référentiel OFB-Cerema, développant une vue d'ensemble des approches de gestion du trait de côte et présentant les principales techniques mobilisées, leurs effets potentiels sur les écosystèmes marins et les mesures environnementales associées, sera un précieux auxiliaire pour les décideurs ainsi que pour les associations et collectifs d’habitants et d’usagers des littoraux.
Il se compose de 2 tomes complémentaires :
- Le tome 1 décrit le cadre institutionnel et réglementaire de la gestion du trait de côte, les aléas, de l'urbanisme en zone littorale et les acteurs impliqués.
- Le tome 2 synthétise les impacts potentiels des différentes méthodes de gestion sur les milieux marins et propose des mesures pour éviter, réduire ou compenser ces effets, et insiste sur la nécessaire intégration des enjeux environnementaux très en amont dans la conception et de la mise en œuvre des projets. Les grilles d’évaluation des impacts d’un projet, en fonction des situations et des aléas les plus fréquents tels les submersions marines et le recul du trait de côte, constituent des données utilisables aisément par tous, décideurs comme associations.
Différentes techniques de gestion et d'aménagement du trait de côte sont possibles, complémentaires ou alternatives selon les situations dites "dures" (digues, murs, perrés épis, brise-lame) ou "souples" (rechargement de plage, gestion en libre évolution des dunes…) et permettent d'atténuer les aléas littoraux. Leur mise en œuvre varie selon le type d’aléa et de niveau de risque, les contraintes locales, mais aussi les ressources financières mobilisables tant en investissement qu'en entretien. On oublie trop souvent de mesurer les impacts sur l’environnement marin de ces méthodes, en particulier la modification voire l’inversion des mouvements sédimentaires, des courants, et de la composition de la biodiversité, ce qui a pour conséquences d’influer sur la présence, la nuptialité et la reproduction de certaines espèces péchées. Enfin, on néglige encore d’identifier ces impacts et leurs effets sur les habitats et les espèces à long terme, alors que s'impose nécessairement un suivi écologique régulier.
À REVOIR :
Avec un raisonnement certes éminemment local mais plus large, allant des aires protégées littorales ou marines d'éventuels réseaux - comme, par exemple, le marais de l’Atlantique - jusqu'à la façade maritime (dont les sites Natura 2000), et actionnant en cohérence et combinaison d’actions les différents leviers d’action mentionnés dans les différents textes réglementaires et stratégies à différentes échelles (COPIL et Docob Natura 2000, plan de gestion de réserve, déploiement de la Stratégie Nationale de Gestion des Risques d’Inondation -SNGRI- et Stratégie nationale Biodiversite -SNB III- ainsi que du futur Plan national de restauration de la Nature -PNRN- , Plans de Gestion des Risques d’Inondation -PGRI-,Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux -SDAGE-, Stratégie Locale de Gestion des Risques Inondation -SLGRI-, etc.).
À REVOIR :
Avec en point d’orgue la réflexion sur les mesures permettant de réduire ces impacts, selon la séquence Eviter-Réduire-Compenser, et si les mesures d’évitement et de réduction doivent constituer la priorité et être intégrées tout au long du cycle de vie des projets, il convient de compléter le triptyque si les impacts sont trop forts par une quatrième option = Abandonner. La mise en œuvre de ces politiques publiques repose sur une concertation et même une coopération étroite entre les différents acteurs concernés : institutions publiques, collectivités territoriales, mais également les structures scientifiques et techniques sans oublier les usagers et les associations et collectifs d’habitants des littoraux.
À REVOIR :
Outre, donner des clés pour construire une gestion intégrée des zones côtières visant la réduction des conflits d’usages et intégrant les considérations écologiques dans les choix d’aménagements, sont privilégiées les solutions fondées sur la nature.
Parmi lesquelles on citera de manière non exhaustive :
- la restauration des dunes littorales comme outil de stabilisation naturelle du trait de côte des récifs artificieux écoconçus, des herbiers de posidonies, des mangroves atténuatives de la force de la houle et séquestrant du carbone ;
- la restauration des marais salants et autres lagunes, zones tampons face à la submersion.
Ces solutions sont d’ailleurs souvent plus durables que les ouvrages “durs” (digues, enrochements). Elles nous forcent à repenser l’aménagement du littoral en visant à réduire la pression humaine et à envisager un recul stratégique (délocalisation progressive des infrastructures vulnérables avec le délicat problème de l’indemnisation), concevoir un urbanisme littoral sobre (limiter l’artificialisation des plages, estrans, embouchures), et assurer une protection stricte des milieux clés [herbiers, frayères, nourriceries classéss en zones de protections fortes (ZPF)]. Ces ZPF pouvent être de petites surfaces, couplées avec des aires protégées plus maritimes, également de petites surfaces [À REVOIR] la mise en un réseau en pas japonais comme le préconise Humanité et Biodiversité.
La libre évolution, pas chère et efficace ?
À REVOIR :
Avec une place centrale sur la libre évolution de nos littoraux dans les stratégies d’adaptation au recul du trait de côte. Longtemps, les sociétés littorales ont cherché à figer le rivage à l’aide de digues, enrochements et autres protections dures.
Si ces ouvrages peuvent protéger ponctuellement, ils perturbent aussi les dynamiques naturelles : blocage du transport sédimentaire, aggravation de l’érosion en aval, disparition progressive des plages et affaiblissement des milieux naturels. Face à l’élévation du niveau de la mer et à la multiplication des tempêtes, cette logique montre désormais ses limites.
À l'inverse, laisser les systèmes littoraux fonctionner sans contraintes excessives, afin qu’ils absorbent eux-mêmes les effets du changement climatique semblent évident. Les dunes avancent ou reculent, les marais salés se déplacent vers l’intérieur, les estuaires se reconfigurent, et ces mouvements, loin d’être des pertes, renforcent la résilience des territoires. Les milieux naturels jouent alors pleinement leur rôle : les dunes amortissent les vagues, les zones humides dissipent l’énergie des tempêtes, les herbiers sous-marins fixent les sédiments et stabilisent le fond marin.
Concilier la gestion du trait de côte et la préservation des écosystèmes marins exige une approche intégrée, capable de répondre simultanément aux enjeux d’érosion, de submersion et de biodiversité.
Face au changement climatique, miser uniquement sur des ouvrages "durs" (digues, enrochements...) peut aggraver la dégradation des habitats côtiers et perturber les courants marins. Les solutions fondées sur la nature offrent alors une réponse plus durable : restauration des dunes, renforcement des herbiers, réhabilitation des zones humides ou création de récifs écoconçus. Ces milieux atténuent naturellement l’énergie des vagues tout en abritant une biodiversité essentielle.
On insistera sur le phénomène assez souvent négligé de subsidence côtière, peu considérée, qui amplifie la fragilité du trait de côte dû au poids des constructions et des infrastructures qui pèsent sur des sols généralement sédimentaires jusqu’à de 5 mm par an dans les zones où l'enfoncement est le plus sévère. Localement, l'élévation du niveau marin d'origine climatique peut être amplifiée par un affaissement du sol. D’un côté, le niveau marin augmente et de l’autre, les sols en certains secteurs s’affaissent et favorisent la submersion de la mer. Près de la moitié des zones côtières en Europe sont en train de s'affaisser avec en moyenne, une subsidence supérieure à 1 mm par an.
Une gestion cohérente passe également par un urbanisme littoral plus sobre, limitant l’artificialisation et intégrant le principe de recul stratégique pour les zones à risque. Les décisions doivent s’appuyer sur des études d’impact robustes. Enfin, impliquer les acteurs locaux – scientifiques, élus, pêcheurs, habitants – garantit une gouvernance partagée et des choix compatibles avec les réalités du territoire.
Ainsi, la protection du littoral implique de redonner de la place aux écosystèmes et de repenser nos aménagements pour s’adapter durablement.
Il devient important - ce que ne souligne pas ce référentiel - de mesurer les risques selon leur matérialité financière, et de chiffrer selon différents choix les pertes induites, les coûts de réparation et les interruptions d’activité. L’agence Scientific Climate Ratings (SCR) propose pour les aménagements en "dur", une approche à grande échelle, qui intégrerait les risques climatiques propres à chaque actif (méthode élaborée en lien avec l’EDHEC Climate Institute) et servirait désormais de référence scientifique pour évaluer le niveau d’exposition des infrastructures, et enfin pour comparer, hiérarchiser et piloter les investissements d’adaptation aux risques climatiques. Cette approche s’appuie sur une échelle graduée de A à G pour comparer l’exposition des actifs côtiers et terrestres. Une notation de A correspond à un risque minimal en comparaison avec l’univers d’actifs alors que qu'une notation de G est appliquée aux actifs les plus risqués. Espérons que cette approche soit étendue aux espaces naturels littoraux.
En conclusion
Toutes ces considérations promues par le présent référentiel rejoignent et complètent utilement les préconisations énoncées par Humaniste et Biodiversité dans son cahier de la biodiversité n°15.
Avec, en la matière, un objectif : moins d’artificialisation mais plus d'action avec la Nature, de planification intégrée, de suivis fins et globaux, d’adaptation plutôt que de résistance coûte que coûte, de gouvernance partagée et de retours d’expérience portes à la connaissance des études de cas (France et dans le monde).
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Pour aller plus loin :
Nouveau Cahier de la Biodiversité sur le "Pacte européen pour les océans"
Petites aires marines protégées, une solution au conflit actuel
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Photo de couverture © Pierre Rousseau
Référentiel technique pour la préservation de l'environnement marin dans la mise en oeuvre de méthodes de gestion du trait de côte - tome 1.pdf
Référentiel technique pour la préservation de l'environnement marin dans la mise en oeuvre de méthodes de gestion du trait de côte - tome 2.pdf
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