Position d'H&B - Les obligations réelles environnementales
Mai 2019
Qu’est-ce qu’une obligation réelle environnementale (ORE) ?
Le terme d’ORE est apparu pour la première fois en France avec la promulgation de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (articles 73 et 73 de la loi, intégré au code de l’environnement sous l’article L. 132-3).
Les ORE sont des dispositifs fonciers de protection de l’environnement s’ajoutant aux outils juridiques de protection de la biodiversité existants (aires marines protégées, parcs nationaux, réglementation sur les espèces protégées, etc.). Toutefois, cet outil est nouveau : le dispositif est volontaire et contractuel, et repose largement sur la volonté des citoyens de protéger la biodiversité.
Quelle forme prend l’obligation réelle environnementale ?
Ici, l’obligation est traduite sous la forme d’un contrat bilatéral, passé entre plusieurs parties prenantes, et où chacune de ces parties s’impose une charge (obligations de faire ou de ne pas faire).
L’ORE est un outil volontairement souple : l’objectif est de laisser la liberté aux parties prenantes de rédiger un contrat qui convient le plus possible à leurs attentes et objectifs. Cependant, la loi impose 3 conditions à ce contrat : il doit contenir la durée des obligations, les engagements réciproques, ainsi que les possibilités de révision et de résiliation.
Attention ! Il ne faut pas confondre cette ORE avec la servitude, où un usager impose une charge à un autre usager.
Que puis-je protéger avec une ORE ?
L’obligation réelle environnementale permet aux propriétaires d’un bien immobilier de maintenir, conserver gérer ou restaurer des éléments de la biodiversité ou des fonctions écologiques présents sur ce bien. Pour établit le contrat, aucun état initial n’est visé : les éléments de biodiversité et/ou les fonctions écologiques peuvent être en bon état de conservation comme très dégradés.
Que sont des éléments de biodiversité ?
Les éléments de la biodiversité peuvent inclure aussi bien de la biodiversité ordinaire que remarquable, et un bien immobilier peut faire l’objet d’une ORE pour plusieurs raisons :
- Lorsqu’il abrite des espèces animales ou végétales, des milieux naturels tels que des zones humides ou des haies
- Parce qu’il permet une relation entre les espèces et leur milieu naturel : un bien immobilier peut servir d’aire de reproduction pour certaines espèces, de couloir de migration (sites traversés par des espèces animales tels que les poissons ou les oiseaux à des fins de reproduction ou d’alimentation : en France, le couloir de migration des grues démarre en Lorraine, passe par le Massif Central et se termine au Pays Basque), ou encore de zone de refuge (murets en pierre, combles, souches d’arbres, etc.)
- Parce qu’il fait office de zone tampon (espace contigu à des parcelles cultivées, permettant d’atténuer les effets négatifs que l’agriculture peut avoir sur l’environnement. Par exemple, une prairie bois ou une mare peuvent faire office de zone tampon).
Que sont les fonctions écologiques ?
Les fonctions écologiques sont des processus biologiques permettant de faire fonctionner et maintenir un écosystème.
Attention ! Ils sont à distinguer des services écosystémiques, qui sont des bénéfices que l’homme tire des fonctions écologiques. Par exemple, la rétention de l’eau dans les sols et sédiments (une fonction écologique), qui permet de réguler l’érosion des sols (service écosystémique). Par exemple, un fossé peut avoir une fonction d’écoulement de l’eau et d’habitat, une zone humide assure des fonctions hydrauliques et biogéochimiques, etc.
Avec qui puis-je signer une ORE ?
Comme dit précédemment, les obligations réelles environnementales sont des dispositifs contractuels volontaires. L’instauration d’une ORE passe donc par la signature d’un contrat entre plusieurs parties prenantes : le propriétaire foncier d’une part, et le cocontractant d’autre part. Ce dernier peut être :
- Une collectivité publique (État, collectivité territoriale)
- Un établissement public (communautés de communes, établissements publics de coopération intercommunale, agences de l’eau, parcs nationaux, etc.). Bien que la loi ne fournisse aucune précision pour cette catégorie de cocontractants, il est préférable de contracter avec un établissement dont l’environnement fait partie de ses compétences (un établissement public hospitalier ne semble pas être le cocontractant le plus pertinent pour une ORE).
- Une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l’environnement (associations de protection de l’environnement traitant du maintien, de la conservation, de la gestion ou de la restauration d’éléments de la biodiversité ou de fonctions écologiques ; fondations dont un des objets est la protection de l’environnement)
Il faut également noter que l’initiative de l’ORE peut provenir d’une partie prenante comme de l’autre : un propriétaire foncier peut faire appel à une personne extérieure, tout comme l’un des cocontractants mentionnés ci-dessus peut venir solliciter un propriétaire foncier pour l’un de ses projets.
L’ORE étant un dispositif volontaire, les parties prenantes sont libres de signer ou non le contrat.
Que doit contenir mon contrat ORE ?
Le contrat instaurant l’ORE doit, selon la loi, avoir un contenu minimal : on parle de la durée des obligations, des engagements réciproques et des possibilités de révision et de résiliation.
Les engagements réciproques
Ces engagements sont libres, selon la volonté des contractants. La loi ne donne aucune précision sur le type d’engagements qui peuvent être pris, sauf le fait qu’ils doivent être réciproques : il ne peut y avoir d’engagement unilatéral (le contrat ORE est bilatéral), chaque cocontractant doit s’engager. Les engagements qui sont pris par les contractants peuvent concerner des obligations de faire ou ne pas faire, un accompagnement financier ou en nature.
Par exemple, le propriétaire peut, s’il n’est pas expert de la biodiversité, se faire accompagner par un cocontractant : ce dernier peut avoir un rôle de conseil et d’assistance. Le propriétaire peut alors, suivant les engagements pris, se trouver à faire certaines actions : planter des haies, restaurer une mare ; ou à ne pas faire : ne pas artificialiser, ne pas employer de produits phytopharmaceutiques, etc.
Le cocontractant peut, selon les engagements, s’engager sur la réalisation d’un suivi des éléments de biodiversité ou de fonctions écologiques concernés par le contrat ORE, ou encore conseiller le propriétaire immobiliser sur les actions favorisant ces mêmes éléments.
Durée du contrat
La durée des obligations est librement fixée par les parties prenantes au contrat : la seule obligation est de respecter le contrat jusqu’à son terme. Cependant, comme l’ORE n’est pas une servitude, le contrat l’instaurant ne peut dépasser les 99 ans.
Et si je ne suis pas propriétaire de mon bien sur la durée de l’ORE, comment cela se passe-t-il ?
C’est ici que réside l’avantage principal de l’obligation réelle environnementale. La loi spécifie que les ORE sont à la charge du propriétaire signataire, ainsi qu’à la charge des propriétaires ultérieures du bien : les ORE sont donc transmissibles entre propriétaires successifs ! Ceux-ci en sont informés lorsqu’ils veulent acheter le bien, et se voient donc dans l’obligation de poursuivre les actions déjà mises en place sur le bien, assurant la pérennité environnementale des obligations.
Possibilités de révision et de résiliation du contrat
Là encore, les clauses sont libres : les parties prenantes au contrat les définissent selon leur bon-vouloir. Ces possibilités de révision et de résiliation offrent la possibilité d’anticiper les changements potentiels que peuvent subir le bien immobilier ou les parties prenantes.
Par exemple, une des parties prenantes peut ne pas respecter ses engagements, ce qui vaudra une résiliation du contrat. Autre option, des espèces peuvent être repérées sur le bien immobilier après signature du contrat : les clauses de révision permettent de tenir compte des évolutions éventuelles de la biodiversité et des fonctions écologiques.
Quelles sont les spécificités du contrat ORE ?
Le contrat doit être établi en forme authentique
Cette forme permet de renforcer le degré de la preuve de l’existence du contrat ORE. Ce qui est constaté peut donner lieu à une exécution de manière forcée si les engagements ne sont pas respectés.
Un acte établi par un notaire est authentique.
Un acte à enregistrer au service de la publicité foncière
Le contrat ORE doit être enregistré à ce service : cela permet d’établir la validité du contrat et d’assurer son transfert en cas de mutation du bien immobilier (vente, héritage) et de changement de propriétaire.
Le contrat ORE est dispensé de certaines taxes (droits d’enregistrement, taxe de publicité foncière) mais il est soumis à la contribution de sécurité immobilière (CSI), une taxe qui elle permet principalement de rémunérer le chef de service du bureau des hypothèques.
Le droit des tiers
Le contrat ORE ne peut remettre en cause des droits préalablement établis au profit des tiers : ici, in parle des droits liés à l’exercice de la chasse et ceux relatifs aux réserves cynégétiques.
La compensation des atteintes à la biodiversité
Les ORE peuvent être utilisées à des fins de compensation. Cette partie concerne avant tout le maître d’ouvrage devant compenser les atteintes à la biodiversité occasionnées par son projet. Cependant, il est intéressant de comprendre le fonctionnement si un maître d’ouvrage vous contacte un jour pour la mise en place d’une ORE sur votre bien immobilier à des fins de compensation.
Le maître d’ouvrage a 3 possibilités d’utilisation de l’ORE, dont 2 concernent les propriétaires de biens immobiliers :
- Le maître d’ouvrage est propriétaire et contracte directement une ORE avec un des cocontractants (non propriétaires) décrits précédemment
- Le maître d’ouvrage n’est pas propriétaire d’un terrain : il contracte avec un opérateur de compensation, également non propriétaire. Ce dernier contracte alors une ORE avec un propriétaire foncier. On aura donc 2 contrats : un contrat de compensation entre le maître d’ouvrage et l’opérateur de compensation, et une ORE entre l’opérateur et le propriétaire foncier.
- Le maître d’ouvrage acquiert des unités de compensation (qui peuvent s’acquérir sur un site naturel de compensation - SNC) pour compenser ses atteintes à la biodiversité. Dans ce cas, c’est le gestionnaire du SNC qui contractera une ORE avec un propriétaire foncier.
Les mesures compensatoires prévues par l’ORE doivent respecter quelques principes énoncés dans la loi du 8 août 2016, articles 69 à 71 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages :
- Viser un objectif d’absence de perte nette, voire de gain de biodiversité
- Elles doivent se traduire par une obligation de résultat
- Elles doivent être effectives pendant la durée des atteintes à la biodiversité
- Elles doivent respecter le principe de l’équivalence écologique
- Elles doivent être mises en place à proximité du site dégradé
- Elles doivent être pérennes
ORE et bail rural
Il est possible que le terrain sur lequel le propriétaire veuille instaurer une ORE soit déjà concerné par un bail rural. Ce bail consiste en un contrat passé entre le propriétaire du terrain (ici, le bailleur) et un exploitant agricole (ici, le preneur) pour que ce dernier puisse bénéficier de l’utilisation des terres ou des bâtiments agricoles du propriétaire, en contrepartie d’un loyer ou d’un partage de récolte.
La première chose à savoir est qu’il est nécessaire d’obtenir l’accord du preneur pour mettre en place une ORE sur le terrain : comme il est exploitant, c’est à lui qu’incombera les obligations de faire ou ne pas faire de l’ORE. Cependant, si le bailleur demande au preneur son accord, et que celui-ci ne lui donne pas sous 2 mois, le contrat est considéré comme signé.
Le preneur peut également refuser la mise en place de l’ORE : son refus doit être motivé.
Concernant ORE et bail rural, plusieurs situations existent.
L’ORE est compatible avec le bail rural :
- Le preneur a donné son accord au bailleur
- Les obligations instaurées par l’ORE sont compatibles avec le bail rural et ce dernier n’a pas besoin d’être modifié
- Nous avons 2 contrats : un bail rural entre le preneur et le bailleur, et une ORE entre le bailleur et un des 3 cocontractants cités plus haut
- Le preneur met alors en place les obligations instaurées par l’ORE
L’ORE est incompatible avec le bail rural : Dans ce cas, le bailleur (propriétaire) inclue une clause environnementale au bail, afin que celui-ci se transforme en bail rural à clauses environnementales (BRE).
Il constitue une solution permettant au bailleur (propriétaire) de mettre en place des pratiques agricoles environnementales sur ses terres. Le preneur (exploitant) obtient une réduction de loyer pour le respect des exigences.
L’ORE peut aboutir à l’insertion de clauses environnementales au bail rural sous certaines conditions :
- Il est nécessaire que l’ORE respecte les 16 clauses du BRE (article R.411-9-11-1 du Code rural et de la pêche maritime)
- Si les pratiques déjà mises en place sur le terrain respectent les 16 clauses du BRE, elles peuvent être maintenues. Dans ce cas, l’ORE ne peut que prévoir un maintien de ces pratiques par l’exploitant, tout en leur garantissant une pérennité dans le temps en les inscrivant sur une longue durée.
Quels sont les avantages du contrat ?
- Protéger la biodiversité ordinaire comme remarquable
- Outil mis en place pour les citoyens : chacun peut préserver la biodiversité sur son bien
- Si la commune le consent, le propriétaire foncier peut être exonéré de taxe foncière sur les propriétés non bâties sur lesquelles une ORE est mise en place.
- La transmissibilité de l’ORE assure la pérennité des engagements et des actions en faveur de la biodiversité et des fonctions écologiques
- Aucun état de conservation préalable n’est requis
Pour exemple, le Conservatoire d’Espaces Naturels (CEN) de Savoie et la commune de Yenne ont signé, le 14 mai 2018, la première obligation réelle environnementale à des fins de préservation volontaire d’un site naturel en France. Cette ORE porte sur le marais des Lagneux : la commune de Yenne en est propriétaire, et consent donc que le CEN assure la gestion écologique de la zone humide et la préservation des éléments de biodiversité patrimoniale pendant une durée de 30 ans (au-travers d’inventaires de suivi de la faune et de la flore, de la réalisation de travaux de petite hydraulique). De son côté, la commune de Yenne s’engage à ne pas construire sur le site et à éviter le dérangement de la zone Natura 2000.
On a donc ici un exemple d’ORE à des fins de préservation d’un marais (gestion écologique et préservation des éléments de biodiversité), avec des engagements non financiers mais techniques. Le contrat est passé entre la commune de Yenne (propriétaire dans ce cas) et le CEN de Savoie (personne morale de droit privé agissant pour la protection de l’environnement).
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