Position d'H&B - Nouvelle stratégie pour l'ONF et les forêts françaises
Juin 2019
La gestion des forêts publiques et l'avenir de son gestionnaire l'Office national des forêts (ONF) est sur la sellette notamment car ce dernier un endettement record (400 millions d'euros cumulés) et un déficit chronique ( près de 60 millions par an). Diverses ONG dont Humanité et Biodiversité ont produit un document de réflexion et de positionnement pour conserver un opérateur unique national. Important car il s'agit de 4,2 millions d'ha en métropole et plus de 3 millions dans les Outre-mers lesquelles en métropole comme Outre-mer recèlent une biodiversité importante.
Si 1 ha de forêt rapporte 100 euros par an en vente de bois et location de chasse notamment, on évalue ce qu'il apporte à la Société en externalité à 970 euros par an. Le gouvernement doit décider prochainement de l'avenir des forêt publique au vu d'un rapport de 5 hauts fonctionnaires attendus prochainement . Le rapport sénatorial de Madame Loisier vient d'être publié, nous réagissons à sa lecture.
D'une manière générale, un bon rapport prônant le maintien d'un opérateur unique national
Madame la sénatrice Catherine Loisier maîtrise parfaitement le sujet de la forêt. Son rapport est bien exposé, cohérent et documenté.
Son constat tort le cou à certaines idées qui circulent et retrace bien la réalité sans parti pris. Il est bien différent du manifeste récent produit par la Fédération des communes forestières - Fncofor, document imparfait loin de faire l'adhésion y compris d'élus forestiers. L'intérêt d'un opérateur unique pour la gestion des forêts publiques est souligné en particulier dans son rôle pour peser face à la filière bois (que pèse un maire qui a une coupe de bois par an à vendre face aux grandes entreprises de la filière bois) et en potentiel de mobilisation et de mutualisation comme en cas de catastrophe (chablis de 1999). La sévère réduction d'effectif, passant de 17 500 personnes en 1980 à 8 500 aujourd'hui - sans compter les emplois aidés (cf. page 17 du rapport de la Sénatrice) et celle annoncée de 1 500 emplois à venir n'a servi qu'à créer des tensions au sein des territoires, des tâches non accomplies au détriment de la gestion des forêts publiques et du mal-être pour les personnels.
En revanche, ce rapport est intéressant car si les mesures préconisées ne constituent guère que des solutions partielles, mises bout à bout, avec un certain niveau notamment financier à y apporter par la puissance publique et bien enchainées, elles peuvent apporter un espoir de solutions viables pour maintenir un opérateur unique national :
- Recapitaliser l'ONF de manière conséquente,
- Trouver un financement national comme au titre du carbone une taxe affectée ou abandonner le paiement au compte d'affectation spécial du Trésor pour le paiement des pensions des personnels fonctionnaires de l'ONF,
- mpliquer localement réellement les acteurs notamment les associations de protection de la Nature et les ONGs dans la gestion des forêts publiques,
- Effectuer un recentrage sur les activités de base "cœur de métier" de la gestion des forêts publiques et des missions d'intérêt général (telle la restauration des terrain de montagne), certains regroupements de forêts (voir le rapport de 2015 d'Hélène Pelosse, Claire Hubert et Max Magrum) sans négliger certaines économies d'échelle et des gains résultants d'innovations...
Constat du rapport sur l'ONF
Il est clairement redit ce qu'avait déjà dit Hervé Gaymard, à savoir que le Compte d'Affectation Spéciale (CAS) Pension est à l'origine des problèmes financiers de l'ONF. Si l'ONF n'avait pas les 56 millions d'euros à verser annuellement au CAS Pension pour financer les retraites des personnels fonctionnaires de l'ONF, le budget de l'ONF serait arithmétiquement excédentaire (cf. page 17 du rapport). L'idée d'Hervé Gaymard de 2010 d'une recapitalisation par l'État de l'ONF est également reprise.
Il est clairement dit que l'ONF avec 25 % des forêts fournis 40 % de l'approvisionnement en bois. Les forêts gérés par l'ONF sont donc productives. Le potentiel de mobilisation supplémentaire ne peut guère venir de ces forêts (nécessité de lever le pied sur les coupes de chêne, page 28 du rapport) mais des forêts privées.
Mais ces forêts sont aussi gérées de manière multifonctionnelle. L'auteure cite les forêts de la Caisse des dépôts et consignation qui ont une forte rentabilité. Mais sont-elles multifonctionnelles ? (rappels à la différence de la CDC : 12 % des terrains gérés par l'ONF qui ne sont pas boisés constituent des habitats liés à la forêt dans laquelle ils se trouvent ou en sont voisins et sans rapport financier comme les tourbières, les éboulis, les mares, la clairières... 6 % des forêts publiques sont en aires protégées, 30 % en site Natura 2000, 300 000 ha sont des séries RTM, etc).
L'enrésinement est aussi dénoncé comme une non solution.
Des pistes de solutions pour l'ONF
Pour trouver un nouveau modèle de financement de l'ONF, l'auteur cite le financement des aménités notamment la séquestration carbone.
Mais rien n'existe à ce jour et à moyen terme, on ne voit pas comment un circuit financier se monterait rapidement. La solution la plus rapide serait l'affectation des produits d'une taxe (comme cela avait été fait pour l'ex fonds forestier national).
D'autre part, la forêt participe au fonctionnement de la biosphère et offre donc des "services " (séquestration carbone, purification des eaux, oxygène…) qui sont gratuits. Et d'ailleurs, pourquoi devrait-on payer pour en bénéficier ?
L'auteure envisage aussi un regroupement avec le privé au niveau territorial.
Elle cite différentes solutions qui existent déjà comme la charte forestière de territoire. C'est une bonne analyse, mais on ne voit pas comment cela résoudrait le problème financier de l'ONF. Au contraire, ces outils nécessitent animation et suivi donc du personnel dédié et sans recrutement de nouvelles tensions sociale et territoriale. Si ces outils ne se sont pas développés, c'est que le financement de ces actions n'était pas assuré. À noter que l'animation locale dépasse les classes de propriétés, c'est le cas des sites Natura 2000 (dont la réussite de l'animation est souvent lié aux financements dédiés) et surtout le rôle très important des Parcs naturels régionaux (mais qui ne sont pas présents partout). Un bémol toutefois, car si indéniablement les forêts publiques sont des biens communs dont la puissance publique propriétaire est dépositaire (notion d'exemplarité), les forêts privées sont des terrains privés qui rendent des services d'intérêt général, ce qui constitue une différence importante pour une gestion regroupée (importance du droit de propriété, droit absolu en France).
Mme Loisier cite l'économie possible en cas de regroupement de forêts communales.
Un rapport (Pelosse, Hubert, Magrum mai 2015) avait déjà privilégié cette solution. Si elle est intéressante (voir les conditions de réussite des regroupements déjà réalisés comme le Sigfra ou le Sivu des chênaies de l'Adour), il n'empêche qu'une telle mesure ne se fera pas vite (volontariat des communes bien évidement indispensable) et ne résoudra pas les problèmes financiers de l'ONF.
Améliorer la gouvernance locale :
C'est un axe important car il peut mobiliser des fonds locaux en impliquant plus les acteurs pour des actions. Mais rien ne se fera rapidement et de manière générale. De plus, il existe des territoires riches et d'autres qui le sont moins. Quelle péréquation et solidarité entre les territoires que le versement compensateur (subvention de l'État à l'ONF qui fait que le service apporté par le régime forestier est le même pour tous les territoires riche/pauvre, de montagne/de plaine, de métropole/d'outre-mer…) apporte même si insuffisante ?
Il répond aussi à la demande croissante de la Société de plus d'implication et de transparence (cf. page 6 du rapport exploitation "acceptée" par les populations).
Ceci est souligné par tous (cf. document avenir des forêts publiques des ONG avril 2019) souvent en citant la réussite du conservatoire du littoral (les forêts publiques n'ont pas eu de Letourneux !).
Mais le souhait d'une gouvernance au plus près des territoires, annoncé par l'auteure comme une co-gestion à l'allemande, doit impérativement et clairement intégrer les ONG et APN, et les associer au processus de décisions concrètes sur la forêt (âge et diamètres d'exploitabilité, choix de traitement sylvicole, quantités d'arbres bio et de bois mort, trame intraforestière, zones de haute naturalité/libre évolution, accroissement des aires protégées…).
D'autres solutions non négligeables sont également abordées comme la cession des filiales bois- énergie reprenant les conclusions du rapport de la Cour des comptes sur l'ONF de 2014, le développement du numérique… Le fait de ne pas faire peser aux communes le déficit de l'ONF est aussi réaliste (les communes n'ont majoritairement simplement pas les moyens de compenser financièrement les apports de l'ONF et de la gestion de la forêt publique qui profite à la société plus largement qu'à l'échelle d'un ban communal).
Et la biodiversité…
On avance... Même si l'auteure ne signale pas que la majorité des forêts publiques sont des forêts anciennes.
Voilà un rapport qui reconnait que celle-ci est le moteur, le carburant et l'assurance de la forêt. Les travaux de 2009 du Président d'Humanité et Biodiversité, Bernard Chevassus-au-Louis, sur l'évaluation que rapporte la biodiversité au cas de la forêt sont clairement repris (page 22 du rapport). Si l'on tient compte de ces travaux, la forêt multifonctionnelle avec une bonne prise en compte de la biodiversité passe de peu rentable à très rentable.
L'augmentation de la mobilisation des bois en forêt est aussi pris avec circonspection. On peut faire référence à la note du Trésor de 2010 qui précise qu'il n'est pas prouvé qu'une augmentation de la mobilisation en forêt soit rentable car elle entraînerait une augmentation des coûts d'exploitation sans commune mesure avec les produits en résultant, et diminuerait les zones de libre-évolution de fait favorable à la biodiversité et aux aménités apportées par les forêts.
Un long développement lui est consacré sous la forêt de la restitution de l'entretien avec France Nature Environnement - FNE (Hervé le Bouler).
Pour Humanité et Biodiversité, on constatera que nous sommes sur la forêts avec FNE sur la même longueur d'onde.
Mme Loisier cite le développement de la maladie de Lyme, maladie professionnelle en expansion (page 28 du rapport) à relier à juste titre à nos travaux sur les liens entre santé et biodiversité menés par Gilles Pipien, administrateur d'Humanité et Biodiversité.
Le rapport préconise en page 47 de bien clarifier ce qui relève des missions des agents de l'ONF de celles des agents du futur OFB (actuellement AFB). Mais, mis à part le cas des parcs nationaux avec notamment le futur parc national forêt feuillue de plaine où des recouvrements peuvent exister, il n'y a pas de recouvrement de mission. Il existe, depuis 2017, une convention cadre de partenariat AFB-ONF dont on se demande ce qu'il en est résulté de concret pour la biodiversité.
Nous avons relevé une petite inexactitude : "Une des principales certitudes est que le stockage de carbone est optimal pour les arbres en croissance. Il est donc écologiquement bénéfique de réduire la longueur des cycles forestiers qui atteignent jusqu’à 200 ans en Europe. Cela implique une gestion et une exploitation dynamique mais raisonnée pour ne pas épuiser les sols ". Divers études notamment d'Irstéa démonte que 80 % de la biodiversité en forêt dépend des stades de maturité et de sénescences. Il n'est donc pas écologiquement bénéfique de réduire les cycles forestiers et d'exploiter systématiquement tous les arbres trop tôt.
Les manques du rapport sur l'action de l'ONF
Ce rapport est surtout centré sur l'action de l'ONF dans le cadre du régime forestier en métropole.
C'est le sujet central. Mais il ne faudrait pas oublier les autres apports de l'ONF qui sont dans leurs thématiques respectives primordiaux et pour lequel l'ONF a un véritable savoir-faire et expérience, fondé sur un maillage territorial et sur le statut de certains personnels ONF (assermentés, armés). Si l'ONF ne les effectuait plus, il faudrait trouver un autre organisme pour les faire et cela pourrait coûter plus cher à la puissance publique. Le régime forestier est donc une belle opportunité pour la puissance publique de bénéficier de services de terrain important à bon compte.
On citera sans développer le rôle très important de l'établissement public national ONF dans les domaines suivants, véritable bras armé de l'État pour réussir l'accélération écologique voulue par le gouvernement :
- la restauration des terrains de montagne
- les actions Outre-mer (du contrôle des défrichement en terrain privé à la surveillance de l'orpaillage clandestin et de l'ex-zone des 50 pas géométriques à la détermination des droits des amérindiens et marrons en Guyane, l'encadrement et la fourniture de chantiers aux chômeurs à la Réunion...)
- la lutte active et de terrain, prêt et mobilisable rapidement contre les espèces exotiques envahissantes (EEE) et autres espèces en développement démographique déséquilibré (rappelons que pour la PPA la zone d'éradication de sangliers a nécessité 200 personnes dont 100 étaient des personnels ONF)
- la gestion particulière des littoraux (250 km de dune principalement sur le littoral atlantique, l'action ONF sur le suivi du trait de côte, les mangroves Outre-mer...)
- le million de mètres cube de bois fournis dans des conditions particulière au titre de l'affouage (véritable chèque énergie avant l'heure pour les bénéficiaires !)
- la surface importante des terrains relevant du régime forestier où se maintient une activité sylvopastorale importante pour le développement local (un éleveur bio doit mettre son troupeau de trois à six mois selon les labels dans un parcours exempt d'intrants)
- et bien d'autres comme le maintien d'un réseau d'observation des écosystèmes forestiers depuis plus de 30 ans (Renefor), d'un réseau opérationnel de forestiers naturalistes (inventaires et études entomologiques, botaniques, mammalogiques notamment sur les chiroptères, mycologiques, avifaune) ou la participation à un réseau de correspondant observateur santé des forêts ( 95 % des membres de ce réseau sont des agents ONF)...
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